Annulons l'élection d'un président qui ne respecte pas le financement électoral
Le Conseil constitutionnel aurait dû invalider les comptes de campagne de Jacques Chirac en 1995. C’est ce qui ressort des archives de l’institution dévoilées cette semaine. Dans ces cas-là, il faudrait oser annuler l’élection selon René Dosière, membre honoraire du Parlement, et Romain Rambaud, professeur de droit public à l’université Grenoble-Alpes, respectivement président et membre de l’Observatoire de l’éthique publique.
En histoire, il n’est pire erreur que l’anachronisme. Les commentaires suscités par la publication des archives du Conseil constitutionnel relatives à l’élection présidentielle de 1995, grâce à la cellule investigations de Radio France, en fournissent un nouvel exemple. On savait déjà, par les confidences journalistiques d’un membre du Conseil en 2011, confirmées par les déclarations du président d’alors, Roland Dumas, en janvier 2015, que le Conseil avait contourné la loi en validant les deux comptes de campagne de Jacques Chirac (élu) et d’Edouard Balladur en dépit des multiples et importantes fraudes relevées par les rapporteurs.
La lecture des débats du Conseil n’en est pas moins instructive. Le récit des séances où l’on entend les « sages » exercer leur sagacité à diminuer les dépenses chiffrées avec rigueur par les talentueux rapporteurs fournirait matière à une comédie de boulevard particulièrement loufoque. Aucun doute n’est plus permis : la politique a prévalu sur le respect de la loi (par 5 voix contre 4). Selon la formule, par ailleurs discutable, de Roland Dumas, « la République a été sauvée ».
Le Conseil constitutionnel en sort-il décrédibilisé ?
Ce n’est pas évident, dès lors que l’on se replace dans le contexte de l’époque et que l’on examine les leçons qui en ont été tirées. En 1995, la législation sur le financement des campagnes électorales est récente et balbutiante. La loi initiale de 1988 n’a d’autre mérite que d’exister et il faut attendre les textes ultérieurs pour l’enrichir et la préciser (1990, 1993 et 1995, trois mois avant la présidentielle). La commission nationale des comptes de campagne(CNCCFP) n’est instituée qu’à partir de 1991, mais n’est pas compétente pour l’élection présidentielle, réservée au Conseil constitutionnel. Ce dernier effectue avec l’élection de 1995 son premier contrôle. Sa tâche est d’autant plus délicate que la toute récente législation comporte de nombreux trous dans la raquette, comme en témoignent les interrogations des rapporteurs et des membres. En effet, dans le rapport établi à l’issue de cette élection (Décision n°95-93 du 8 décembre 1995), le Conseil s’étend dans un long paragraphe sur les difficultés et insuffisances de la législation. Mieux : sept ans plus tard il préconise de confier le contrôle des comptes de campagne de l’élection présidentielle à la CNCCFP, d’autant qu’elle est compétente pour les législatives qui suivent et qu’il existe des interférences entre les deux campagnes. A partir de 2007, c’est la CNCCFP qui contrôlera donc l’élection présidentielle, forte de son expérience acquise à la suite du contrôle d’une quinzaine d’élections diverses.
Coup de tonnerre en décembre 2012 : la CNCCFP rejette pour dépassement de dépenses le compte de Nicolas Sarkozy, président de la république sortant mais battu à l’élection. Ce dernier fait appel devant le Conseil constitutionnel, présidé par Jean Louis Debré, qui valide explicitement la décision de rejet du compte. Cette décision courageuse efface, en partie, la malheureuse décision de 1995, même si à l’époque la CNCCFP n’avait pu déceler tous les financements illicites de ce qui est devenu l’affaire Bygmalion, pour laquelle un procès va prochainement s’ouvrir.
Cependant, on n’est pas encore allé au fond de la question et le moment est venu d’ouvrir le vrai débat : peut-on et faut-il annuler l’élection présidentielle lorsqu’un président élu n’a pas respecté les règles relatives au financement de la campagne électorale ?
Dans toutes les élections, autres que la présidentielle, le rejet du compte de campagne du candidat élu est sanctionné par l’inéligibilité de l’intéressé et l’annulation de son élection. A l’élection présidentielle , la sanction est exclusivement financière : amende à hauteur du dépassement et non remboursement des frais de campagne.
Cette inégalité de traitement, choquante, n’a pas de justification si ce n’est la déférence excessive du Parlement envers le président de la République. Il conviendrait donc d’appliquer à l’élection présidentielle la disposition commune à toutes les autres élections à savoir l’annulation de l’élection quand la personne élue a commis des infractions importantes et graves dans le financement de sa campagne. Compte tenu des délais d’examen des comptes de campagne cette décision du Conseil constitutionnel interviendrait huit à dix mois après la date de l’élection. En pareille hypothèse, le Président du Sénat assurerait l’intérim de la présidence et une nouvelle élection serait organisée dans les délais prévus par la Constitution.
Cette disposition aurait le même effet que l’arme atomique : la dissuasion et la prévention. Dès lors qu’elle existerait, aucun candidat ne prendrait le risque d’en être victime. Elle renforcerait le caractère exemplaire de notre législation électorale en établissant que dans notre République, nul n’est au dessus des lois, pas même le président de la République.
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Publié le 23/10/2020 ∙ Média de publication : Capital
L'auteur
René Dosière
Président
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