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Groupes politiques parlementaires :

encore un petit effort de transparence !

Elina Lemaire, maître de conférences en droit public à l’université de Bourgogne et membre de L’Observatoire de l’éthique publique, suggère quelques pistes pour améliorer l'efficacité et la transparence du système de financement public des groupes politiques parlementaires.

Groupes politiques parlementaires :
Sopa images / Contributeur

La création, au printemps dernier, d’un nouveau groupe parlementaire "Agir ensemble à l’Assemblée nationale – qui porte le nombre total de groupes au Palais Bourbon à dix, un record sous la Ve République – est l’occasion d’un bref rappel des réformes récemment adoptées en matière de réglementation des finances des groupes et de la formulation de quelques propositions complémentaires pour parfaire les mesures ainsi mises en place.

Les groupes parlementaires sont des formations intérieures des assemblées qui permettent aux parlementaires de se regrouper par affinités politiques. Avant le début des années 1950, le financement des groupes était principalement privé (cotisations mensuelles versées par leurs membres). Ce mode de financement n’a pas totalement disparu, mais il est devenu très accessoire : aujourd’hui, le financement des groupes est principalement public. Tous les groupes reçoivent une dotation qui dépend de leurs effectifs respectifs. Le montant global de cette dotation annuelle est d’environ 11 millions d’euros pour chacune des deux chambres (11,3 millions d’euros pour l’Assemblée nationale et 10,6 millions d’euros pour le Sénat en 2019).

L’instauration d’un financement public des groupes ne s’est accompagné d’aucune mesure réglementant l’utilisation des fonds publics ainsi versés. En juin 2014, et en plein mouvement de moralisation de la vie publique, la question de la gestion des finances des groupes a été propulsée sur le devant de la scène politico-médiatique lorsque Mediapart a révélé que le groupe UMP de l’Assemblée nationale avait, deux ans plus tôt, accordé un prêt de trois millions d’euros au parti politique dont il était le prolongement parlementaire. Ce prêt était intervenu dans une "zone grise" du droit : si aucune norme ne venait réglementer l’usage de leurs fonds par les groupes, la question se posait de savoir dans quelle mesure leurs ressources pouvaient servir au financement de dépenses non parlementaires.

A l’occasion de la publicité donnée à cette affaire, plusieurs décisions sont venues réglementer les finances des groupes. D’abord, les deux chambres ont imposé aux groupes de se constituer sous la forme d’associations de la loi de 1901, afin de faciliter le contrôle de leurs finances. Cette obligation a été assortie de règles clarifiant l’utilisation des fonds, désormais soumise au principe de spécialité, c’est-à-dire de destination parlementaire. Enfin, les comptes annuels des groupes, dorénavant certifiés par un commissaire aux comptes, sont publiés, accompagnés du rapport de ce dernier, sur les sites Internet de l’Assemblée et du Sénat.

Ces réformes constituent un progrès certain. Elles vont dans le sens du respect de l’exigence constitutionnelle de bon usage des deniers publics (Conseil constitutionnel, n° 2010-624 DC du 20 janvier 2011). Elles ont par ailleurs permis d’aligner le droit français des finances des groupes avec ceux de la plupart des Etats membres de l’Union européenne. En tenant compte des principes d’autonomie des assemblées et d’indépendance des groupes, il est toutefois possible de proposer des solutions pour parfaire cet édifice normatif.

Concernant d’abord le statut des groupes, l’adoption du statut associatif soulève la question de la durée de vie des associations-groupes et, plus précisément encore, de leurs reliquats financiers, notamment dans l’hypothèse de leur disparition. Ainsi, si quatre des six associations-groupes de la précédente législature existent encore aujourd’hui, deux d’entre elles ont été dissoutes. Il serait opportun de prévoir l’adoption, par les deux chambres, de dispositions imposant, dans l’hypothèse d’une dissolution ou d’une non-reconduction d’une association-groupe, que la part de la dotation versée et non utilisée soit restituée à la chambre concernée (comme cela est le cas au Parlement européen).

Il serait ensuite possible de préciser le principe de spécialisation des fonds alloués aux groupes. A ce jour, les textes interdisent toute utilisation de ces fonds dans un but autre que le financement de la "rémunération [des] collaborateurs" des groupes et des "dépenses nécessaires à leurs activités" Or, ces règles ne permettent pas d’écarter définitivement le risque de « détournement » de ces fonds, dès lors que, souvent, l’objet social des associations-groupes est défini de façon très large. Pour remédier à cette difficulté, il serait possible (comme cela est également le cas au Parlement européen) d’interdire l’utilisation des crédits alloués aux groupes pour des dépenses qui seraient précisément énumérées (financement de partis politiques ou de campagnes électorales, achat de biens immobiliers ou de véhicules, par exemple).

Enfin, le contrôle externe des comptes des groupes politiques pourrait être renforcé. L’option la plus opportune consisterait à confier ce contrôle à la Cour des comptes qui serait ainsi amenée, tous les ans, à certifier les comptes des groupes des deux chambres. En l’état actuel du droit, ce contrôle pourrait être fondé sur l’article L. 111-6 du code des juridictions financières, qui permet à la Cour de contrôler les organismes qui bénéficient d’un concours financier de l’État.

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Publié le 16/11/2020 ∙ Média de publication : Capital

L'autrice

Elina Lemaire

Elina Lemaire