Agrément d'Anticor
"Le problème est que le gouvernement peut être juge et partie"
Afin d’éviter que le gouvernement ne soit soupçonné de partialité, la délivrance de l’agrément aux associations anticorruption, leur permettant de déclencher une instruction, devrait être confiée à une institution indépendante, selon le juriste Raphaël Maurel.
Le gouvernement n’a pas renouvelé l’agrément de l’association anticorruption Anticor, qui lui permet d’agir en justice dans les affaires de corruption et d’atteinte à la probité présumées. Pour Raphaël Maurel, maître de conférences en droit public à l’université de Bourgogne et secrétaire général de l’Observatoire de l’éthique publique, il faut réformer cette procédure, toujours suspecte d’arrière-pensées politiques.
Quel est le sens de la procédure d’agrément ?
Elle existe depuis 2013. Elle a été créée dans le cadre des lois de moralisation de la vie publique et de lutte contre la corruption après l’affaire Cahuzac. Elle vise en particulier à faire des associations anticorruption des sortes de procureurs privés. En effet, dans l’action publique classique, c’est le procureur qui déclenche l’instruction judiciaire, c’est-à-dire la saisie d’un juge indépendant. Or, le risque existe que soient enterrées certaines affaires de manquement à la probité, de recel, d’abus de biens sociaux, de corruption, parce que les procureurs peuvent subir des pressions institutionnelles.
Pour éviter cela, la réforme prévoyait que les associations qui remplissent certaines conditions peuvent porter plainte et se constituer parties civiles. Et ainsi déclencher l’instruction auprès d’un juge indépendant, même si le parquet a classé l’affaire ou décidé de ne pas saisir le juge. C’est donc un outil précieux dans la lutte anticorruption. Jusqu’à aujourd’hui, trois associations en bénéficiaient : Anticor, Sherpa et Transparency France. Les critères de l’agrément sont une gestion désintéressée de l’association, notamment quant à la provenance des financements, et qu’elle ait un bon fonctionnement démocratique.
Quels problèmes cette procédure vous semble-t-elle poser ?
Le problème est que c’est le gouvernement qui a la main, plus particulièrement le ministre de la Justice. Cela pose un problème de principe : le gouvernement peut être juge et partie dans le cas où une association utilise son agrément pour dénoncer les manquements d’un ministre. En plus, les agréments sont très courts, seulement trois ans, dont six mois d’instruction du renouvellement. Il y a d’autres problèmes. En 2021, le garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti, déjà inquiété par des plaintes d’Anticor, s’était déporté. Et le Premier ministre Jean Castex avait tardé à émettre l’agrément, en raison de soupçons d’un mauvais fonctionnement d’Anticor. Politiquement, il était pourtant forcé de le donner, car ne pas le faire aurait pu passer pour une censure politique. Aujourd’hui, Dupond-Moretti et Borne ont chacun dû se déporter, et il est incompréhensible que ce soit le Quai d’Orsay qui ait instruit la demande.
Faut-il revoir cette procédure ?
Il faut modifier la loi pour confier la procédure à une institution indépendante du gouvernement, donc moins soupçonnable de partialité que les ministres. Plusieurs options existent. Anticor propose que ce soit le Défenseur des droits, mais je pense que c’est une mauvaise idée car la corruption ne relève pas de ses compétences. La candidate idéale me paraît être la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP). Et on pourrait en profiter pour porter à cinq ans la durée de l’agrément. Tout cela n’entraînerait pas une délivrance automatique de celui-ci, mais cela réglerait la question du soupçon de partialité.
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Publié le 27/12/2023 ∙ Média de publication : Libération
L'auteur
Raphaël Maurel
Directeur Général