Anticor : "Il faut réformer d'urgence la procédure d'agrément des associations anticorruption"
Alors que l’association Anticor vient de se voir retirer son agrément par le tribunal administratif, le juriste Raphaël Maurel estime, dans une tribune au « Monde », que pour éviter les conflits d’intérêts, le gouvernement ne doit plus être décisionnaire des agréments accordés aux groupes de lutte contre la corruption.
La décision du tribunal administratif de Paris retirant l’agrément de l’association Anticor est non seulement une mauvaise nouvelle pour les défenseurs de l’anticorruption, mais également un nouveau symptôme d’une procédure d’agrément défaillante.
Créé par la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, ce dispositif crée des « procureurs privés » associatifs capables de faciliter l’ouverture d’une instruction par un juge, même malgré l’avis défavorable du parquet. Il limite donc le risque d’enterrement politique d’une affaire de corruption et a fait ses preuves ; que l’on pense à l’affaire Alexis Kohler ou à l’affaire des sondages de l’Elysée.
Le jugement du 23 juin 2023 est regrettable du point de vue de l’éthique publique, ainsi que sur le plan juridique. La motivation de l’arrêt reste faible : le juge ne dit pour ainsi dire rien, à part qu’il a existé des dissensions internes faisant douter du fonctionnement démocratique de l’association, et qu’Anticor a refusé de communiquer le nom de certains donateurs, ce qui ferait planer un doute sur son indépendance.
« Erreur de droit »
Ces deux critères dont le contenu est peu clair ne sont pas discutés, alors même que la communication des noms des donateurs serait vraisemblablement contraire au règlement général sur la protection des données, comme l’a suggéré la Commission nationale de l’informatique et des libertés elle-même. Finalement, le juge administratif ne fait que dire que le premier ministre aurait commis une « erreur de droit » en accordant l’agrément [ce dernier avait été octroyé par le gouvernement et renouvelé pour trois ans le 2 avril 2021] : « Le premier ministre ne pouvait se fonder sur l’engagement de l’association à prendre des mesures correctives visant à se mettre en conformité avec ses obligations postérieurement à la décision d’agrément. » L’argumentation, qui repose sur la temporalité et non la réalité des faits allégués, est gênante.
La motivation du juge est beaucoup plus significative, mais tout aussi peu convaincante concernant la rétroactivité du retrait de l’agrément [la décision rétroactive signifie qu’Anticor pourrait ne plus être partie civile dans les affaires où elle s’était constituée après avril 2021].
L’argument d’Anticor reposait sur l’intérêt général qu’il y a à ne pas annuler rétroactivement un agrément ayant permis l’ouverture d’affaires de corruption. L’association appelait le juge à « moduler dans le temps » les effets de son éventuelle décision, et à utiliser son pouvoir d’abrogation juridictionnelle (c’est-à-dire de prononcer la fin de l’agrément à partir du jour de la décision) plutôt que son pouvoir d’annulation rétroactive de l’agrément.
Le tribunal administratif botte en touche
Sur ce point, le tribunal administratif botte en touche en renvoyant au juge judiciaire compétent, considérant qu’il n’est pas certain que ce juge déclare irrecevables les constitutions de parties civiles depuis l’agrément, que cela n’éteindrait pas nécessairement la procédure, que de toutes façons Anticor pourrait faire appel d’une éventuelle décision d’irrecevabilité. Dernier argument très contestable, le juge précise qu’il existe deux autres associations agréées pour se constituer parties civiles, de sorte que l’annulation rétroactive de l’agrément d’Anticor serait finalement indolore.
Le tribunal aurait certainement pu, considérant l’intérêt général poursuivi par l’activité d’Anticor, pencher pour une abrogation ne valant que pour le futur ; ce dont personne n’aurait été marri.
Au-delà du juge, cette affaire révèle surtout un épineux problème politique. Cet agrément doit être conféré par le ministre de la justice, qui était au moment des faits en plein conflit d’intérêts puisqu’il était visé par une plainte d’Anticor. C’est donc le premier ministre d’alors, Jean Castex, qui avait pris la décision, forcée par la pression médiatique et populaire sur le sujet. Politiquement, il n’avait pas d’autre choix que de donner l’agrément, ce qui soulève des interrogations sur le plan éthique.
Une autorité administrative indépendante
Un tel agrément ne devrait pas être conféré par le gouvernement, faute de quoi cette situation ne pourra que se reproduire à l’avenir. Il devrait être remis par une autorité administrative indépendante, laquelle ne pourrait être taxée de favoritisme politique ou se retrouver en situation de porte-à-faux vis-à-vis de l’opinion publique.
La candidate idéale existe : la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique octroie déjà des agréments comparables pour se plaindre de violations de la probité devant elle, selon une procédure assez similaire. Une simple réforme de la loi de 2013, à l’occasion d’un prochain texte portant sur la justice ou la lutte contre la corruption, permettrait de neutraliser cette situation problématique pour l’avenir : le gouvernement n’a plus qu’à se saisir de cette possibilité.
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Publié le 24/06/2023 ∙ Média de publication : Le Monde
L'auteur
Raphaël Maurel
Directeur Général