La déontologie publique locale pour les nuls
L’Observatoire de l’éthique publique vient de publier un « guide pratique pour maîtriser les risques d’atteinte à la probité dans les collectivités territoriales ». Coordonné par la référente-déontologue et maître de conférences en droit public Elise Untermaier-Kerléo, qui a pu s’appuyer sur l’Agence française anticorruption, des fonctionnaires territoriaux ainsi que des homologues déontologues ou universitaires, cet opus gratuit de près de 90 pages doit permettre aux agents et élus d’acquérir des réflexes déontologiques bien en amont de la potentielle manifestation d’un problème éthique. Objectif : renforcer un peu plus encore la prévention des atteintes à la probité au sein du secteur public local.
« Les manquements au devoir de probité constituent le premier motif de poursuites mais aussi de condamnations des élus locaux comme des fonctionnaires territoriaux. Loin de moi l’idée de souscrire au discours du ‘Tous pourris’, vraiment, mais cette statistique n'a rien d'anodine pour quiconque considère que l’intégrité et la probité des personnes investies de fonctions publiques sont au fondement de la démocratie et de l’Etat de droit » justifie Elise Untermaier-Kerléo, lorsque Le Courrier des maires l’interroge sur son tropisme pour la déontologie publique locale. Maître de conférences en droit public à l’université Lyon-3 et référente-déontologue pour six centres de gestion différents, celle qui pousse en parallèle en faveur d'un « projet de loi Sapin 3 » a publié, le 20 octobre, un « guide pratique pour maîtriser les risques d’atteinte à la probité dans les collectivités territoriales » en accès libre. Avec un objectif : faciliter la compréhension, donc la mise en œuvre, de la législation existante pensée depuis une dizaine d’années pour prévenir et non plus seulement sanctionner les atteintes à la probité.
Petit à petit, la situation tendrait à s’améliorer, à l'entendre. « Mon activité de référente-déontologue n’a plus rien à voir aujourd’hui avec ce qu’elle était en 2016 ou 2017. De plus en plus d’agents acquièrent les réflexes déontologiques, tandis que des maires de petites communes commencent à me saisir pour des cas souvent pratico-pratiques : ont-ils le droit, par exemple, de louer un logement communal à la fille d’un adjoint, dans le respect du principe d’égalité ? », illustre celle qui préside également le comité de déontologie et d’éthique de la métropole de Lille, et siège au sein du CCDTE de la ville de Lyon, de nature plutôt optimiste. Peut-on se satisfaire pour autant des progrès qu'Elise Untermaier-Kerléo constate auprès de ces décideurs convaincus et sensibilisés ? Oui et non, compte tenu du flou régnant actuellement sur la généralisation assez lente de ces « conseillers en déontologie » dans le reste des collectivités, et de la pression exercée concomitamment par les organismes de contrôle – Agence française anticorruption (AFA), Haute autorité à la transparence (HATVP), Cour des comptes, etc.
Des progrès incontestables, mais des risques encore bien réels
« La loi étant muette sur le sujet, des Centres de gestion qui avaient créés de tels postes de déontologues pour les agents extérieurs, impartiaux et indépendants des collectivités, ont décidé de mutualiser cette fonction pour répondre également aux problématiques du quotidien rencontrées par les élus. Sauf que les administrations centrales en charge des collectivités et de la fonction publique territoriale, qui travaillent en silos, n’ont pas pensé l’articulation des deux dispositifs… C’est d’autant plus la panique que des magistrats des Chambres régionales des comptes (CRC) s’intéressent de plus en plus aux enjeux déontologiques, de leur côté. Et poussent les maires de villes petites et moyennes à se regarder dans un miroir. Ceux-ci identifient alors certaines vulnérabilités de leurs organisations dans la précipitation, mais ne savent pas toujours comment y répondre, quels process renforcer en priorité… Si les collectivités locales pouvaient expliquer leur inaction par un manque de moyens voici quelques années, ce n’est plus crédible depuis début juin 2023 et l’obligation de nommer un référent-déontologue qui pèsent sur elles », contextualise Madame Untermaier-Kerléo.
Autant dire que ce « guide pratique » publié sous le patronage de l’Observatoire de l’éthique publique (OEP) tombe à point nommé. Il revient sur les démarches et outils susceptibles d’être mis en œuvre rapidement, collectivités par collectivités, dispositifs par dispositifs – audits structurels et enquêtes administratives, cartographie des risques et plans d’actions en découlant, commissions de déontologie, encadrement des rapports avec les lobbyistes, recueil des alertes et signalements, etc. Et alterne, au gré des près de 90 pages, avec les points de vue et retours d’expérience de nombreux contributeurs extérieurs, parmi lesquels des avocats, des déontologues, des DGS et fonctionnaires en charge du contrôle interne ou de plans Probité, engagés à des degrés divers « dans une politique ambitieuse et sincère de prévention des atteintes à la probité » salue la déontologue.
Vers un « régime disciplinaire » des élus locaux ?
Elise Untermaier-Kerléo en profite pour revenir sur l’un de ses principaux chevaux de bataille : l’instauration d’un régime disciplinaire des élus. « Si les agents se rendant coupables de manquements déontologiques s’exposent à des sanctions disciplinaires, ce n’est pas le cas des élus. Eux ne peuvent être inquiétés que par des sanctions pénales, plus lourdes mais à l’issue de procédures nettement plus longues, ou des sanctions politico-électorales si tant est que les électeurs ne sont pas biaisés par l’octroi d’avantages liés à certaines politiques clientélistes… L’absence de déclaration d’un lien d’intérêt et de déport, l’acceptation d’un cadeau ou d’une invitation contraire à la charte éthique ou n’importe quel autre manquement aux obligations déontologiques ne tombant pas sous le coup de la loi pénale mais qui contreviendrait malgré tout au devoir d’exemplarité des élus, tout ça devrait pourtant pouvoir être traduits devant une sorte de conseil de discipline interne et faire l’objet de sanctions, plus légères mais prononcées plus rapidement et systématiquement. Afin de marquer le coup, continuer à sensibiliser les autres élus, éviter la récidive et protéger la collectivité des risques réputationnels en dernier recours » encourage la référente-déontologue. Qui imaginait dans un article universitaire de simples « avertissements », « rappels à l’ordre » ou « rappel aux règles » dans un premier temps, avant éventuellement de passer à des « blâmes publicisés en cas de récidive » voire, plus sévère encore, des « retraits de délégations ou de désignations pour les élus ayant perdu la confiance de leurs majorités. » « Cette dernière sanction peut être aggravée, le cas échéant, par le retrait de la qualité d’adjoint ou de vice-président, par vote de l’organe délibérant » précise le guide pratique.
Pas de moralisme, mais une sincérité à prouver sans relâche
Sur ce sujet aussi, la législation française est muette. « Hormis la région Grand Est prévoyant de façon assez vague une responsabilité disciplinaire des élus, c’est plutôt l’exception lorsque de telles sanctions politiques sont prévues dans le cadre de chartes déontologiques ou codes de conduites de collectivités. Chartes n’ayant, qui plus est, pas de réelle valeur juridique… » confie Madame Untermaier-Kerléo, à regrets. Rien n’interdit pour autant à un exécutif ou l’assemblée délibérante engagés sur ces questions de probité de modifier son règlement intérieur et y intégrer « dans le silence de la loi » un tel régime disciplinaire. Pour cette membre historique de l’Observatoire de l’éthique publique (OEP), qui n’est pas encore parvenu à convaincre la métropole de Lille ou la ville de Lyon pour lesquelles elle travaille de mettre en œuvre de tels dispositifs ad hoc, l’instauration d’un régime disciplinaire permettrait de souligner leur engagement éthique. « La portée symbolique de ces sanctions de nature politique, mais aussi le relais médiatique qu’elles sont susceptibles de provoquer, permettraient d’envoyer un signal. Cela apparaîtrait comme le gage d’un engagement sincère et pérenne dans une démarche de maîtrise des risques d’atteinte à la probité » veut-elle croire.
Pour Elise Untermaier-Kerléo, qui prolonge par ce guide les riches échanges s’étant tenus dans le cadre des Assises de l’éthique publique organisés par l’OEP en fin d’année dernière à Valenciennes, la plus grande erreur serait toutefois de « tomber dans une forme de moralisme pour faire infuser plus vite la culture déontologique au sein du secteur public local. Il faut se garder de ce mode de raisonnements. Accompagnons les élus, clarifions les règles, continuons à faire de la pédagogie pour changer certaines pratiques installées depuis des lustres mais posant problème malgré tout. Et, surtout, faire en sorte que plus personne ne puisse dire qu’il ne s’avait pas. Les fraudeurs ne doivent plus avoir d’excuses… »
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Publié le 30/10/2023 ∙ Média de publication : Courrier des maires