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Le contentieux électoral n'est pas un jeu : les sept annulations d'élections législatives de 2022

Le Conseil constitutionnel vient de clore son examen des recours suscités par les dernières élections législatives de 2022, « session » marquée par le nombre non négligeable d’annulations. Il ressort de cette jurisprudence la confirmation de certains traits particuliers du contentieux électoral et aussi la mise à jour de problèmes spécifiques posés par le vote à distance qui a eu lieu pour l’élection des députés des Français de l’étranger.   The Constitutional Council has just completed its review of the appeals filed during the last legislative elections of 2022, a « session » characterized by a significant number of cancellations. This case law confirms certain particular features of electoral litigation and also brings to light specific issues caused by the remote voting that took place for the election of the members of parliament representing French citizens living abroad. 

Le contentieux électoral n'est pas un jeu : les sept annulations d'élections législatives de 2022
JP blog, le blog de Jus Politicum, revue internationale de droit constitutionnel.

Le 3 février 2023, le Conseil constitutionnel a annoncé avoir achevé l’examen des recours dirigés contre les élections législatives de juin 2022 (communiqué de presse). Il aura donc fallu presque 8 mois au juge électoral pour purger ce contentieux, de juillet 2022 à février 2023. Après les classiques décisions de tri rendues sur le fondement de l’article 38 al. 2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel en vertu duquel « le Conseil, sans instruction contradictoire préalable, peut rejeter, par décision motivée, les requêtes irrecevables ou ne contenant que des griefs qui manifestement ne peuvent avoir une influence sur les résultats de l’élection » prononcées en juillet et août 2022, le Conseil constitutionnel a commencé à juger au fond à partir de début décembre 2022[1], prononçant trois annulations, dans la 8ème circonscription du Pas-de-Calais (n°2022-5794/5796 AN), la 1ère circonscription de la Charente (n°2022-5784 AN) et la 2ème circonscription de la Marne (n°2022-5768 AN). Le 20 janvier 2023, il a annulé les élections de la 2ème (n°2022-5813/5814 AN) et de la 9ème (n°2022-5760 AN) circonscription des Français établis hors de France, puis le 27 janvier, celle de la 1ère circonscription de l’Ariège (n° 2022-5751 AN). Enfin, il a annulé le 3 février 2023 l’élection dans la 8ème circonscription des Français établis hors de France (n°2022-5773 AN). Ce faisant, le Conseil constitutionnel aura rendu 7 décisions d’annulation, un niveau stable par rapport aux séries précédentes: il avait prononcé 7 annulations en 2012, 2002 et 1988, 6 en 2007 et 1997, 8 en 2017[2].

 

Dans le cadre de ce contentieux, deux décisions sont classiques mais instructives sur le plan des rapports entre contentieux électoral, sociologie électorale et politique.

 

La première est l’annulation prononcée dans la 8ème circonscription du Pas-de-Calais (n°2022-5794/5796 AN). En l’espèce, le juge a constaté que le remplaçant du candidat élu député dans cette circonscription, M. Hocq, figurait en troisième position sur une liste de candidats aux élections sénatoriales qui se sont déroulées dans le département le 24 septembre 2017. Le sénateur élu à l’époque ayant démissionné, il a été remplacé par sa suivante de liste et dès lors, la personne se trouvant en troisième position, en l’espèce M. Hocq, est devenue remplaçante d’un sénateur en application des dispositions de l’article LO. 320 du code électoral. Elle ne pouvait, par suite, être remplaçante dans le cadre d’une élection législative et était inéligible. Dans la mesure où, selon l’article LO. 189 du code électoral, le Conseil constitutionnel doit statuer « sur la régularité de l’élection tant du titulaire que du remplaçant », ce dernier a jugé, suivant une jurisprudence établie[3], qu’il y avait lieu en raison de l’inéligibilité du remplaçant d’annuler l’élection du député. On notera que cette annulation, prononcée pour des raisons strictement juridiques sans remise en cause de la sincérité du scrutin, n’aura pas eu d’effet sur la volonté des électeurs. Lors de l’élection partielle organisée les 22 et 29 janvier 2023, M. Petit est le seul des trois députés sortants dont le mandat était à cette occasion remis en jeu à avoir été reconduit, élu au second tour 66,49 % des voix.

 

La seconde est l’annulation prononcée dans la 1ère circonscription de la Charente (n°2022-5784 AN). En l’espèce, saisi par M. Pilato, candidat malheureux, le Conseil constitutionnel a constaté que 18 votes correspondaient à des différences de signature significatives et devaient par conséquent être considérés comme irrégulièrement exprimés, que 8 votes avaient fait l’objet d’émargements entre les deux cases du 1er et 2nd tour de sorte qu’il était impossible de vérifier à quel tour ils correspondaient, et quel vote correspondait à un vote sans procuration régulière, soit 27 suffrages irréguliers. L’écart de voix entre les deux candidats du second tour étant de 24, l’élection du vainqueur, M. Mesnier, n’était plus acquise et les opérations électorales ont donc été annulées. Or, contrairement à la précédente affaire, les résultats de l’élection partielle se sont avérés différents lors de l’élection partielle. Au second tour, le candidat de La France insoumise (LFI) pour la Nupes, René Pilato, est arrivé en tête des suffrages exprimés (50,99 %) face au candidat sortant de la majorité présidentielle, Thomas Mesnier (49,01 %), porte-parole du parti Horizons d’Edouard Philippe, avec un écart de 474 voix malgré une participation très faible (30,21 %). Un écart de voix qui s’est finalement creusé entre les deux élections en faveur du candidat de gauche, sans doute en raison également du contexte national relatif à la réforme des retraites. Signe qu’annuler et reporter une élection n’est jamais tout à fait neutre sur le plan politique…

 

Les autres annulations présentent plus d’intérêt de principe du point de vue du contentieux électoral. Elles concernent deux problèmes différents : des questions de propagande électorale et la question spécifique du vote électronique dans les circonscriptions des Français établis hors de France.

 

 

Propagande électorale : primauté explicite de la volonté réelle des électeurs et sanction implicite des erreurs commises par l’administration

Deux annulations concernent des problèmes similaires de propagande électorale, dans lesquels l’élection a été remise en cause parce que des bulletins avaient été écartés alors même que ces derniers l’avaient été à bon droit. Dans les deux cas, le Conseil constitutionnel a considéré que la sincérité du scrutin avait bien été altérée, du fait même de cette appréciation régulière sur des bulletins illégaux. Si ces solutions pourraient paraître juridiquement surprenantes, en réalité elles ne le sont pas non seulement en raison de la primauté du principe de sincérité du scrutin qui constitue le cœur de l’office du juge électoral, mais aussi parce qu’elles viennent sanctionner des erreurs commises en amont par les autorités administratives en charge de l’organisation du scrutin. Le Conseil constitutionnel confirme ici une jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, El. Mun. de la commune du Pré-Saint-Gervais, 12 oct. 2021, n°448270).

 

Le premier cas de figure est la décision relative à la 2ème circonscription de la Marne (n°2022-5768 AN). Il s’agissait ici d’un problème associé à l’article L. 52-3 du code électoral, à savoir l’interdiction de noter sur le bulletin de vote un autre nom que celui du candidat ou du remplaçant. La candidate arrivée troisième au 1er tour, Mme Miller, candidate Renaissance, avait indiqué sur son bulletin « La candidate officielle d’Emmanuel Macron ». En l’espèce, 965 bulletins portant cette mention avaient été considérés, « à bon droit » ainsi que le relève le Conseil constitutionnel, comme nuls par des bureaux de vote et par la commission du recensement. Or ces derniers étaient décisifs pour l’issue du scrutin, l’écart de voix étant très faible entre les candidats arrivés en tête au premier tour : 7369 voix pour 22,46 % des suffrages pour la première, 7213 voix pour 21,98 % des suffrages pour la seconde et 6964 voix pour 21,23 % des suffrages pour Mme Miller, éliminée donc directement du fait de la non comptabilisation de ces 965 bulletins. Le Conseil constitutionnel a estimé, quand bien même ces bulletins auraient été écartés à bon droit, qu’« en l’absence de doute sur l’intention des électeurs qui les ont utilisés et alors qu’il ne résulte pas de l’instruction que l’utilisation des bulletins litigieux ait résulté d’une manœuvre, le vote de ces électeurs a été privé de portée utile. Dès lors, dans les circonstances de l’espèce, compte tenu du faible écart de voix entre les trois candidats arrivés en tête, l’absence de prise en compte des bulletins irréguliers du décompte des voix a eu pour effet de modifier l’identité des candidats qualifiés pour le second tour de scrutin, altérant ainsi la sincérité du scrutin ». Cette solution, outre le principe de primauté absolue de la sincérité du scrutin, est justifiée aussi par le fait que dans le détail, les bulletins irréguliers en question se sont retrouvés présents en raison d’une erreur commise en amont par la commission de propagande. En effet, si la candidate avait bien commis une erreur au départ qu’elle a par la suite essayé de corriger en produisant de nouveaux bulletins auprès des bureaux de vote, il n’en demeure pas moins que la commission de propagande avait validé et envoyé aux domiciles des électeurs ces bulletins alors qu’elle aurait dû les refuser, puisqu’elle a pour obligation de vérifier le respect de l’article L. 52-1 du code électoral (CE 11 juill. 2011, n° 342851, Elections cantonales de Saint-Leu [La Réunion], Lebon T. 942 ; CE 5 févr. 1993, n° 135894, Beucher et autres, Elections régionales dans le département de la Mayenne ; pour les élections européennes, CE 8 déc. 2004, n° 268793 : v. QE n° 19720 de V. Lopez, réponse JO Sénat du 20 mai 2021, p. 3318). Ce sont donc ces 965 bulletins envoyés à tort aux domiciles des électeurs et utilisés qui ont altéré la volonté réelle des électeurs, qui était de voir Mme Miller arrivée au 2nd tour. On soulignera qu’in fine, l’élection partielle qui a fait suite à l’annulation a donné raison au Conseil constitutionnel : les électeurs ont corrigé l’erreur de l’administration puisque Mme Miller l’a emporté avec 51,8 % des voix contre l’élue sortante Rassemblement national, Mme Frigout (48,2 %).

 

Le second cas de figure est l’annulation de l’élection dans la 1ère circonscription de l’Ariège (n°2022-5751). En l’espèce, des bulletins de Mme Carrie, candidate soutenue par le Rassemblement national dans la 2ème circonscription de l’Ariège, avaient été mêlés à ceux de M. Garnier, candidat Rassemblement national dans la 1ère circonscription, dans les bureaux de vote de la commune de Tarascon-sur-Ariège. 136 bulletins au nom de Mme Carrie ont été retrouvés dans l’urne et comptabilisés à bon droit comme nuls par la commission de recensement. Toutefois, le Conseil constitutionnel a également estimé que ces bulletins avaient « privé de portée utile » le vote de ces électeurs et affecté la sincérité du scrutin, l’écart de voix entre M. Garnier et le dernier candidat qualifié pour le 2nd tour étant de 8 voix. Ce faisant, le Conseil constitutionnel a sanctionné l’erreur commise par les autorités administratives (commission de propagande, mairie ou bureaux de vote…) à Tarascon-sur-Ariège.

 

Plus généralement, ces solutions rappellent les difficultés qui redoublent aujourd’hui quant au rôle des commissions de propagande, mais leur examen dépasse le cadre du présent article[4].

 

 

Circonscriptions des Français de l’étranger : dysfonctionnements et manœuvres autour du vote électronique

Le contentieux des élections de 2022 est particulièrement marquant pour le vote électronique, utilisable dans le cadre des élections législatives pour les circonscriptions des Français établis hors de France. S’il a déjà existé des annulations pour ce type de circonscriptions (pour un problème de compte de campagne donnant lieu à une inéligibilité, n° 2012-4633 AN du 15 février 2013, Français établis hors de France, 8ème circ.), y compris pour des dysfonctionnements dans le vote par correspondance « papier » (n° 2017-5052 AN du 2 février 2018, Français établis hors de France, 5ème circ.), des problèmes de cette nature n’avaient jamais été sanctionnés pour le vote électronique (v. pour un rejet, n°2012-4597/4626 AN du 15 février 2013, Français établis hors de France, 4ème circ.).

 

Si le Conseil constitutionnel a rejeté une protestation concernant la 1ère circonscription (Etats-Unis et Canada) considérant qu’il n’était pas avéré que des dysfonctionnements ou des fraudes aient eu lieu (n° 2022-5795 AN), il a annulé deux élections en raison de dysfonctionnements techniques au premier tour, dans la 2ème (Amérique centrale et Amérique du Sud ; n° 2022-5813/5814 AN) et la 9ème (Afrique du Nord, n° 2022-5760 AN). Il s’agissait dans les deux cas de problèmes de non-envoi de mots de passe pour s’identifier (38 % des électeurs avaient reçu leurs mots de passe en Argentine dans la 2ème et 38% en Algérie dans la 9ème). « Alors même que cette circonstance n’est imputable ni à la candidate élue ni aux autres candidats », le Conseil constitutionnel a considéré que plusieurs milliers d’électeurs avaient été empêchés de voter et que cela avait altéré la sincérité du scrutin eu égard à l’écart de voix.

 

Plus grave encore est l’annulation de l’élection dans la 8ème circonscription des Français établis hors de France (n°2022-5773 AN), où l’élection de M. Habib, acquise avec 193 voix d’avance, a été annulée en raison de messages de propagande tardifs (violation de l’article L. 330 du code électoral) mais surtout parce que « en parallèle des dispositifs d’assistance organisés par le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, M. HABIB a mis en place des permanences téléphoniques et des centres d’aide mobilisant un nombre significatif d’opérateurs à destination des électeurs rencontrant des difficultés pour voter par voie électronique. Il résulte de l’instruction que, à l’occasion de ces appels, il a pu irrégulièrement être proposé aux électeurs de voter par internet à leur place en utilisant leurs identifiants et mots de passe. De tels agissements, qui revêtent une particulière gravité, doivent être regardés comme constitutifs d’une manœuvre ». Ces faits sont extrêmement graves, le système de la « collecte » des votes à distance n’étant pas prévu en France et étant source de fraude électorale dans les systèmes où le vote par correspondance avec possibilité de collecte existe[5]. M. Habib n’a cependant pas été déclaré inéligible sur le fondement de l’article LO. 136-3 du code électoral, alors que le Conseil constitutionnel peut mettre en œuvre cette sanction d’office (n°2021-5726/5728 AN du 28 janvier 2022[6]). On peut s’interroger sur cette solution. Absence de preuve de l’implication personnelle de M. Habib dans ces manœuvres ? Autolimitation du juge électoral et volonté de s’en remettre à la seule appréciation des électeurs ? Jurisprudence inégale entre les grands candidats, notamment les sortants, et les petits[7] ? En tout état de cause, M. Habib pourra se représenter à l’élection partielle. Le contentieux électoral devant le Conseil constitutionnel, s’il est incontestablement effectif, a donc encore de belles marges de progression…

 

[1] V., pour le contentieux des élections législatives dans le détail de juillet 2022 à décembre 2022, R. Rambaud, « Contentieux des élections législatives 2022 : le Conseil constitutionnel prononce les premières solutions au fond. Analyse des décisions du Conseil de juillet 2022 à aujourd’hui », Blog du droit électoral, 8 décembre 2022, disponible en ligne sur https://blogdudroitelectoral.fr/2022/12/contentieux-des-elections-legislatives-2022-le-conseil-constitutionnel-prononce-les-premieres-solutions-au-fond-analyse-des-decisions-du-conseil-de-juillet-2022-a-aujourdhui-r-rambaud/.

[2] R. Rambaud, R. Salas Rivera, « Le contentieux direct des élections législatives de 2017 », AJDA, 2018, p. 1314.

[3] V., sur ce point J.-P. Camby, Le Conseil constitutionnel, juge électoral, Dalloz, 2022, 8ème Ed.

[4] V., R. Rambaud, « L’émergence prétorienne d’un nouveau référé pré-électoral », AJDA, 2022, p. 233 ; « Annulation de l’élection législative partielle de la XVème circonscription de Paris », AJDA, 2022, p. 701 ; « Hésitations autour du référé pré-électoral », AJDA, 2022, p. 926.

[5] R. Rambaud, « Droit électoral et covid-19 : l’occasion manquée du vote par correspondance », AJDA, 2021, p. 489.

[6] LO. 136-3 Code électoral : « Saisi d’une contestation contre l’élection, le Conseil constitutionnel peut déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, le candidat qui a accompli des manœuvres frauduleuses ayant eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin ». Le considérant de principe de la décision n°2021-5726/5728 AN du 28 janvier 2022, Paris, 15ème circ, est le suivant : « Il résulte de ces dispositions que, régulièrement saisi d’un grief tiré de l’existence de manœuvres, le Conseil constitutionnel peut, le cas échéant d’office, déclarer inéligible, pour une durée maximale de trois ans, un candidat, si les manœuvres constatées présentent un caractère frauduleux et s’il est établi qu’elles ont été accomplies par le candidat concerné et ont eu pour objet ou pour effet de porter atteinte à la sincérité du scrutin. Le caractère frauduleux des manœuvres s’apprécie eu égard, notamment, à leur nature et à leur ampleur ». Il est identique à la jurisprudence du Conseil d’Etat à propos de l’article L. 118-4 du code électoral (CE, El. Mun. de Vénissieux, 4 févr. 2015, n°385555). V. R. Rambaud, « Annulation de l’élection législative partielle de la XVème circonscription de Paris », prec.

[7] V., sur ce point le prononcé de l’inéligibilité de M. de SINZOGAN dans la décision précitée n°2021-5726/5728 AN.

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Publié le 07/02/2023 ∙ Média de publication : JP Blog

L'auteur

Romain Rambaud

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