Retraite des anciens présidents de la République :
Le rappel d'une promesse d'Emmanuel Macron ressurgit dans les débats budgétaires au Parlement
Le chef de l’Etat s’était engagé à mettre fin au régime de retraite dérogatoire des anciens présidents de la République, en 2019. Des élus socialistes ont amendé le projet de loi de finances 2024 pour supprimer ce traitement particulier.
C’est un peu le sparadrap du capitaine Haddock, celui qui colle sans qu’on parvienne à s’en débarrasser, pour le chef de l’Etat. Fin 2019, en pleine promotion de son premier projet de réforme des retraites, Emmanuel Macron avait promis de renoncer à sa pension d’ancien président de la République lorsqu’il quitterait l’Elysée. Une indemnité prévue par une loi de 1955 alloue aux anciens chefs de l’Etat l’équivalent du salaire d’un conseiller d’Etat – soit 6 220 euros brut mensuels en 2019 – sans condition d’âge ni de durée de mandat.
L’annonce, réservée au Parisien qui lui avait consacré sa « une » ainsi qu’un dossier de trois pages, avait fait grand bruit. « Nous sommes dans une ère où les élus doivent être exemplaires », expliquait au quotidien un conseiller élyséen, assurant que le jeune chef de l’Etat – alors âgé de 42 ans – ne percevrait pas cette indemnité à la fin de son mandat, ni ultérieurement, lors de son départ à la retraite. Il devait en aller de même pour ses successeurs.
La réforme des retraites à points ayant été abandonnée, la promesse présidentielle ne s’est pas encore concrétisée. Ce qui ne l’empêche pas d’être exhumée à intervalles réguliers par des élus de l’opposition. Ainsi, un amendement au projet de loi de finances pour 2024 déposé par la députée socialiste du Puy-de-Dôme Christine Pires Beaune, et supprimant ce traitement particulier, a été adopté, lundi 30 octobre, en commission des finances, à l’Assemblée nationale.
Une initiative qui « ne fait que reprendre une promesse du président de la République », a justifié l’élue lors des débats. Cet amendement, signé par une vingtaine d’élus, dont le patron du Parti socialiste, Olivier Faure, propose que le régime cesse de s’appliquer pour « les présidents de la République élus après le 1er avril 2022 ». Mme Pires Beaune avait déjà déposé un amendement similaire au printemps, lors des discussions sur la réforme des retraites, qui n’avait pas été retenu par le gouvernement dans le texte final, adopté par le biais de l’article 49.3 de la Constitution.
Vide juridique
Il est peu probable que ce nouvel amendement soit conservé dans le texte définitif du budget, que l’exécutif soumettra à l’article 49.3 dans quelques jours – ni l’Elysée ni Matignon n’ont répondu sur ce point au Monde. « Le président tiendra son engagement », assure toutefois un conseiller élyséen. Juridiquement, le Parlement ne peut modifier ce qui est une prérogative du chef de l’Etat, au nom de la séparation des pouvoirs. Et, bien que cette indemnité soit fixée par une loi de 1955, celle-ci, antérieure au début de la Ve République, est considérée comme relevant du règlement par l’article 37 de la Constitution. Elle peut donc être modifiée par un simple décret.
Dans le sillage des annonces d’Emmanuel Macron fin 2019, un projet de décret avait d’ailleurs été élaboré et validé par le secrétariat général du gouvernement de l’époque. Ce décret modifiait la loi de 1955 et affiliait le chef de l’Etat au régime général, afin qu’il puisse percevoir une pension de droit commun, comme c’est le cas pour les autres membres du gouvernement et le premier ministre. L’indemnité que perçoivent actuellement les anciens présidents de la République est une « dotation annuelle » en vertu de la loi du 3 avril 1955, pour laquelle ceux-ci ne cotisent pas ; elle s’assimile davantage à une rente qu’à une pension. La loi prévoit en outre que « la moitié de cette dotation » puisse être versée à la veuve ou, en cas de décès, aux enfants jusqu’à leur majorité.
Le dispositif de 1955 visait surtout à asseoir la dignité de la fonction présidentielle, la France étant alors l’un des rares pays à n’accorder aucune pension substantielle aux anciens chefs d’Etat. Si un décret de 2016 a donné pour la première fois une base légale aux avantages accordés aux anciens présidents de la République, tels qu’un appartement de fonction, une voiture avec chauffeur et un petit nombre de collaborateurs, un vide juridique subsiste quant à leur statut et leurs prérogatives.
« Ce décret n’a rien réglé, souligne l’ancien député socialiste de l’Aisne René Dosière, fondateur de l’Observatoire de l’éthique publique. Il n’a pas ouvert de réflexion sur le rôle que pourraient jouer les anciens présidents pour le pays. Ceux-ci peuvent ainsi se transformer en lobbyiste, comme le fait Nicolas Sarkozy qui siège au conseil d’administration d’Accor, tout en conservant les avantages de la fonction. Car il faut savoir aussi que le traitement accordé aux anciens présidents en France est l’un des plus faibles en Europe. Ils vont donc chercher de l’argent ailleurs. »
Ces derniers sont aujourd’hui membres de droit du Conseil constitutionnel, ce qui leur permet de toucher une indemnité mensuelle s’élevant à 13 700 euros net en 2020. Celle-ci s’ajoute, le cas échéant, à d’autres pensions de retraite au titre de leurs fonctions ou activités professionnelles antérieures. Certains ont renoncé à siéger Rue de Montpensier, comme François Hollande ou Nicolas Sarkozy, et Emmanuel Macron a fait savoir, à son tour, qu’il n’y entrerait pas.
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Publié le 03/11/2023 ∙ Média de publication : Le Monde