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Agrément d'Anticor : le combat pour la transparence et la réforme continue

Après les déboires rencontrés par l’association Anticor dans le renouvellement de son agrément, le directeur général de l’Observatoire de l’éthique publique plaide, dans une tribune au « Monde », pour que la procédure soit confiée non plus au garde des sceaux mais à une institution indépendante de l’exécutif.

Agrément d'Anticor : le combat pour la transparence et la réforme continue
Tribune RMaurel - LeMonde

L’association Anticor, dont le cœur de l’action est la lutte contre la corruption en France, est sous les feux des projecteurs depuis 2021. En témoigne le nouveau rebondissement que constitue la décision en référé du tribunal administratif de Paris du 12 août. Depuis trois ans, Anticor cherche en effet en vain à faire renouveler l’un de ses agréments, qui lui permet de se constituer partie civile dans des affaires liées à des manquements au devoir de probité, les infractions de corruption et trafic d’influence, de recel ou de blanchiment, ou encore certaines infractions électorales.

Héritage de l’affaire Cahuzac, ce précieux dispositif créé par la loi du 6 décembre 2013 sur la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière permet aux rares associations agréées de se comporter comme des « procureurs privés » lorsqu’elles identifient la commission de l’une de ces infractions.

Face à des risques d’enterrement politique de certaines affaires par le procureur de la République – qui reste le représentant de l’Etat et peut ainsi subir des pressions hiérarchiques ou politiques l’incitant à ne pas exercer d’action publique –, cet agrément permet aux deux associations qui en bénéficient actuellement (Sherpa et Transparency International France) de déclencher directement l’instruction par un juge indépendant du pouvoir.

Une situation aussi incongrue qu’incompréhensible

Jusqu’à récemment, l’agrément octroyé à Anticor depuis 2015 ne posait aucune difficulté. Après la médiatisation de certains doutes concernant le financement et le fonctionnement démocratique de l’association, son agrément a finalement été renouvelé, avec du retard, en 2021. Depuis lors, l’association fait face à des circonvolutions administratives liées à ces doutes, à la rédaction discutable de la décision d’agrément de 2021 et au peu de bonne volonté de l’Etat. Plus grave du point de vue du fonctionnement de l’Etat, elle subit surtout un flot ininterrompu de conflits d’intérêts concernant son dossier au sommet de l’exécutif.

Aux termes de la loi de 2013, c’est en effet le garde des sceaux qui délivre, après instruction, l’agrément aux associations luttant contant la corruption. En 2021, le ministre de la Justice, visé par une affaire initiée par Anticor, avait déjà dû se déporter au profit du premier ministre Jean Castex. En 2023, une abracadabrantesque cascade de déports avait fini par conduire le Quai d’Orsay, en bout de course ministérielle, à statuer sur la nouvelle demande d’agrément.

Cette situation aussi incongrue qu’incompréhensible aurait dû amener le gouvernement à entreprendre une modification de la loi de 2013 visant à confier cette procédure d’agrément à une autre institution, indépendante et hors de tout soupçon, comme la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) également créée en 2013. Las ! Il n’en a rien été, et le gouvernement multiplie les décisions silencieuses de rejet des demandes d’Anticor.

Une priorité pour le législateur

Un nouvel élément vient pourtant relancer l’affaire : le 12 août, le tribunal administratif de Paris a suspendu, à la demande d’Anticor, la décision implicite de rejet infligée par le gouvernement concernant sa dernière demande d’agrément. Le juge administratif considère dorénavant que ce silence, dont la légalité est objectivement douteuse, « porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à l’intérêt public qui s’attache à la lutte contre la grande délinquance économique et financière ».

Plus encore, il juge anormal que l’exécutif, qui se bornait en défense à indiquer qu’il n’y avait pas d’urgence, ne prenne plus la peine de prendre une décision motivée, et enjoint au premier ministre de réexaminer la demande d’agrément d’Anticor sous quinze jours, ce qui oblige enfin l’administration à prendre une décision motivée et publique.

Le fait que même le juge des référés considère que la situation est problématique doit alerter. Au-delà de la décision attendue dans l’affaire Anticor, il est urgent de réformer cette procédure pour écarter le gouvernement de l’équation : trois années de déports de ministres du fait de conflits d’intérêts le démontrent amplement. Le législateur doit en faire une priorité.

Prendre au sérieux la lutte contre la corruption

Il est néanmoins difficile d’ignorer que la proposition de confier la procédure d’agrément des associations anticorruption à la HATVP, que l’Observatoire de l’éthique publique porte, parmi d’autres organisations de la société civile, depuis 2021, a reçu un accueil mitigé au sommet de l’Etat. En cause, une crainte du législateur de confier trop de pouvoirs aux autorités administratives indépendantes au détriment de l’exécutif, et de devoir augmenter leurs budgets en conséquence.

Le statu quo devenant démocratiquement inacceptable, il faut toutefois trancher. Si le législateur, qui doit en tout état de cause se saisir du sujet, ne souhaitait pas confier la procédure à une autorité administrative indépendante et la maintenir au sein du giron gouvernemental, il conviendrait d’inventer de toutes pièces une nouvelle procédure. Celle-ci devrait garantir, d’une part, l’absence de toute possibilité de conflit d’intérêts des décideurs ; d’autre part, la transparence et l’objectivité des critères d’octroi ou de refus de l’agrément ; enfin, l’existence d’une décision publique et motivée pour chaque demande d’agrément.

Ce ne sont qu’à ces quelques conditions, qui devraient au demeurant couler de source dans une société démocratique, que l’engagement de l’Etat en faveur de la lutte contre la corruption pourra être de nouveau pris au sérieux.

 

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Publié le 21/08/2024 ∙ Média de publication : Le Monde

L'auteur

Raphaël Maurel

Raphaël Maurel

Directeur Général