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Faut-il s’indigner de la hausse du budget du Parlement français ?

Alors que le gouvernement Barnier cherche à réduire les dépenses publiques par tous les moyens, et que beaucoup de parlementaires stigmatisent le grave dérapage des dépenses publiques en 2024, on apprend que les budgets de l’Assemblée nationale et du Sénat sont prévus en hausse. Comment expliquer cette décision ? Et que faut-il penser du train de vie de nos parlementaires ?

Faut-il s’indigner de la hausse du budget du Parlement français ?
O.Costa

Le budget des institutions françaises en hausse

Une règle, qui s’applique dans la plupart des démocraties libérales, veut que les pouvoirs exécutif et législatif n’interviennent pas dans leurs budgets de fonctionnement respectifs. Ce pacte de non-agression a une logique : il serait problématique que le gouvernement rogne le budget des assemblées ou que celles-ci réduisent celui du gouvernement ou de la présidence. Ainsi, au nom de la séparation des pouvoirs, les assemblées définissent leur budget en prenant en compte l’inflation et d’éventuels besoins exceptionnels (travaux de rénovation importants, etc.), et le gouvernement reporte ce montant dans le projet de loi de finances.

Le projet 2025 prévoit ainsi des hausses pour les budgets de toutes les institutions de la République : pour l’Elysée, il s’établit à 125 millions d’Euros, en hausse de 2,5% (3 millions) ; pour l’Assemblée nationale, c’est 617 millions, en hausse de 1,7% (10 millions) ; et pour le Sénat, 359 millions, en hausse également de 1,7% (6 millions). L’opinion publique s’est émue de ces chiffres, qui font tache alors que le gouvernement Barnier se démène pour limiter le déficit. Du côté de l’Elysée, on fait valoir que la hausse est 4 fois moindre que celle de l’an passé, ce qui ne consolera personne. Du côté des chambres, on argue que la hausse reflète uniquement l’inflation et l’augmentation du traitement des agents. A l’Assemblée nationale, on souligne aussi le coût non-financé de la dissolution, qui n’est pas une décision de l’institution ; il s’agit de 28,5 millions d’Euros, qui correspondent notamment aux indemnités dues aux collaborateurs d’élus licenciés à cette occasion. Cela dit, les ministères qui voient leur budget réduit sont eux aussi confrontés à l’inflation, et vont devoir faire des coupes claires et sombres dans leurs dépenses. Ce manque de solidarité institutionnelle est donc difficile à justifier.

 

Les parlementaires sont-ils trop payés ?

Comme à chaque fois qu’il est question du budget des institutions françaises, les commentaires ont fleuri sur les réseaux sociaux et dans les médias pour mettre en cause le train de vie des parlementaires, qui semblent à l’abri des problématiques que rencontrent nombre de citoyens. Certains font valoir qu’il revient aux élus, qui ont voté depuis des décennies des budgets en déficit, de faire à présent les efforts nécessaires à la limitation de la dette du pays. Cette question émerge aussi à chaque crise sociale, et avait notamment suscité un fort débat à l’époque du mouvement des Gilets jaunes.

Une fois encore, l’opinion publique et ses relais font valoir que les gens qui nous gouvernent pourraient, par solidarité et exemplarité, faire des efforts, voire consentir à une nette réduction de leurs émoluments. L’idée est alimentée par les fantasmes qui entourent le niveau de rémunération de nos responsables politiques. On entend ainsi souvent dire des parlementaires qu’ils gagneraient « 20.000 Euros par mois », en sus de multiples avantages en nature et passe-droits. Mais quelle est la réalité ?

Un député français gagne environ 6.000 Euros net par mois, et paie ses impôts comme tout le monde. Il dispose aussi d’un budget pour couvrir ses frais de mandat (location d’un bureau, d’une voiture, frais de réception…) d’environ 6.000 Euros par mois. Il dispose enfin d’une enveloppe de 11.000 Euros par mois pour rémunérer des collaborateurs ; elle lui permet d’employer en moyenne 3 personnes, à l’Assemblée ou en circonscription.

Longtemps, ces diverses sommes venaient alimenter le train de vie des parlementaires les moins scrupuleux : l’indemnité pour frais de mandat finançait leurs dépenses courantes ou était utilisée pour acheter une permanence électorale dont ils devenaient propriétaires en fin de mandat. Ils pouvaient aussi employer des proches (conjoint, enfants), qui n’étaient pas toujours très investis dans leurs fonctions. Enfin, la plupart cumulaient les mandats (maire, président de Conseil régional ou départemental…) et les indemnités.

Mais ce temps est révolu. Désormais, les parlementaires doivent produire des justificatifs pour toutes les dépenses couvertes par leur indemnité de frais de mandat. Ils ne peuvent plus employer de proches. Enfin, les possibilités de cumul des mandats ont été restreintes (plus de cumul avec un mandat exécutif) et les indemnités sont « écrêtées » (limite de 3.000 Euros par mois en sus de l’indemnité parlementaire). Les députés disposent toujours d’avantages en nature (facilités de transport, logement à Paris s’ils n’y résident pas, matériel informatique…), mais ils sont liés à l’exercice de leur mandat.

Il faut aussi rappeler que certains responsables politiques ont fait des sacrifices financiers. François Hollande, après son élection à l’Elysée en 2012, avait décidé de réduire d'un tiers sa propre indemnité et celle de tous les ministres ; on lui en fait rarement crédit. Ces dernières années, de nombreuses collectivités (régions, départements, communes…) ont également décidé de réduire les indemnités de leurs élus en-deçà de ce que permet la loi.

Par ailleurs, la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) exerce depuis plus de dix ans un contrôle étroit sur les principaux responsables politiques, qui limite fortement les dérives du passé. Des organisations de la société civile, telles que l’Observatoire de l’éthique publique* et diverses ONG, consacrent également beaucoup d’énergie à traquer les abus des élus et à proposer des réformes pour garantir plus de probité et de transparence. Il est donc faux de considérer que les parlementaires français accumulent toujours plus d’avantages et de revenus. C’est l’inverse. Etienne Ollion et Eric Buge l’ont clairement démontré dans une remarquable étude : ils ont analysé le revenu « réel » des parlementaires depuis 1914, et ont établi qu’il a longtemps cru, puis nettement et constamment baissé depuis le début des années 2000.

La courbe orange représente les revenus effectifs annuels des parlementaires français. La courbe du bas ("Médiane") représente l'évolution du revenu médian en France. Les autres courbes correspondent aux groupes de la population les mieux rémunérés. Par exemple "p. 97-98" (en gris foncé) réunit les 1% de citoyens qui ont des revenus supérieurs à 97% de la population mais inférieurs aux 2% qui gagnent le plus. Les parlementaires appartiennent aujourd'hui à cette tranche. (source: E. Ollion et E. Buge)

 

6.000 Euros mensuel, c’est beaucoup ?

Il y a toujours eu peu de transparence sur les revenus en France, car ce n’est pas dans la culture nationale. On ne parle pas d'argent et rares sont ceux qui se vantent de leur réussite financière. Au contraire, des commerçants, entrepreneurs ou professions libérales affirment souvent se payer au Smic – en oubliant d’indiquer que toutes leurs dépenses courantes sont prises en charge par leur société et qu’ils bénéficient d’autres revenus qui échappent à l’attention du fisc… Les salaires indiqués par les sites spécialisés dans les questions d'emploi sont souvent fantaisistes, car basés sur des déclarations non contrôlées. Les mêmes rémunérations sont exprimées en brut ou en net, avec ou sans les primes et les avantages, et passent du simple au double. Savoir combien gagne en moyenne un médecin, un boulanger, un contrôleur aérien ou un ambassadeur n’est donc pas chose aisée.

Quoi qu’il en soit, les 6.000 Euros net des députés représentent un joli salaire : ils font partie des 3% des Français les mieux rémunérés. Il faut toutefois opérer des comparaisons. C’est beaucoup rapporté au salaire moyen (2.630 Euros net) et médian (1.850 Euros net) en France. Rappelons que le salaire moyen est la moyenne de l'ensemble des salaires de la population française ; elle est assez haute car elle inclut les revenus très élevés que touche une petite minorité. Le salaire médian est plus bas, car il représente le niveau de rémunération qui divise la population en deux groupes égaux : ceux qui gagnent moins que cela, et les autres. L’indemnité des députés français s’établit donc à 2,3 fois le salaire moyen. A cet égard, la France est dans la fourchette basse des démocraties libérales. Ce facteur est en effet de 5,3 en Italie, où les parlementaires sont particulièrement bien rémunérés, de 3,5 dans les pays d’Europe Centrale et orientale, et de 1,2 seulement en Espagne – où la plupart des députés bénéficient toutefois d’importantes exonérations de taxes.

Le niveau de rémunération des députés correspond à celui des cadres supérieurs des grandes entreprises ou de certaines administrations. Les députés ont un revenu similaire à celui des agents titulaires de l’Assemblée nationale qu’ils côtoient tous les jours (6.650 net en moyenne). Et ils sont considérablement moins bien payés que d’autres catégories de la population. La rémunération des footballeurs de ligue 1 – dont le nombre est comparable à celui des députés – tourne ainsi autour de 100.000 Euros mensuels net, avec d’importantes variations d’un club à l’autre. Même un joueur de ligue 2 gagne deux fois plus qu’un député français (13.000 net en moyenne). On ne parlera pas ici des patrons des entreprises du CAC 40, dont le revenu mensuel moyen est de plus de 400.000 Euros net.

 

La démocratie a un coût…

Certains font aussi valoir que le fonctionnement des institutions françaises représente une charge considérable pour les contribuables. Elle est certes importante, mais elle n’est pas centrale dans les dépenses de l’Etat : les budgets cumulés des deux chambres et de l’Elysée représentent environ 1 milliard d’Euros – à rapporter aux 600 milliards du budget de l’Etat (hors collectivités territoriales et Sécurité sociale), aux 167 milliards de déficit public en 2024, ou encore aux 3.000 milliards de dette du pays. Des économies sont toujours possibles, et souhaitables par principe, mais ce n’est pas là que la réduction du déficit va s’opérer massivement. En outre, l’histoire nous a appris que, lorsque l’on réduit le budget des parlementaires, c’est souvent pour porter atteinte à la démocratie. Si le parlement n’a plus les moyens de travailler efficacement, de contrôler le gouvernement et l’administration, de leur réclamer des comptes, d’enquêter sur leurs actions, de s'appuyer sur une administration compétente et dévouée, la tâche des gouvernants s’en trouve facilitée, et c’est rarement pour le bénéfice de la population.

La démocratie a un coût. En France, le fonctionnement des institutions de la République (exécutif et législatif) revient à 15 Euros par citoyen et par an. Mais si l’on s’interroge sur le coût de la démocratie, il faut aussi le faire sur celui de l’absence de démocratie. L’étude des dictatures a depuis longtemps établi que ce type de régime n’est pas très favorable à la prospérité de la population et à la justice sociale, et qu’il aboutit au contraire à une captation des ressources du pays par une élite très restreinte.

 

Une polémique inutile qui profitera aux populistes

Il est malheureux que personne à l’Assemblée nationale et au Sénat n’ait considéré que, compte tenu de caractère historique de la crise budgétaire du pays, de l’effort massif qui va être demandé aux services de l’Etat, aux collectivités, aux entreprises, aux fonctionnaires, aux retraités et aux contribuables les plus aisés, il aurait été judicieux de ne pas réclamer un réajustement de la dotation budgétaire du Parlement. Il n’est pas trop tard pour faire machine arrière. Les chambres ont des réserves pour faire face à face à cette contrainte ; au Sénat, elles atteignent quasiment 2 milliards d’Euros. Les parlementaires pourraient aussi réduire certains aspects de leur train de vie ; dans d’autres pays, la vie quotidienne des élus est beaucoup plus frugale, et ils s’en accommodent.

Longtemps, les Français ont été fiers que des palais somptueux abritent les institutions de la République, que nos responsables politiques célèbrent un art de vivre à la française, fait d'ors et de moulures, de mets raffinés et de grands vins, de meubles précieux et de toiles de maîtres, et du ballet des huissiers et des berlines sombres. C'était une sorte de revanche du peuple sur l'Ancien Régime et une façon de célébrer le prestige français. Mais les temps ont changé, et cette fierté se mue peu à peu en agacement, en incompréhension, voire en colère, face à des élus qui évoluent dans un univers privilégié, apparemment déconnecté de la marche du monde et des affres de l'époque. Il est grand temps qu'ils se préoccupent un peu plus énergiquement de restaurer la confiance des citoyens dans les institutions de la République, en commençant par montrer l'exemple quand il s'agit de réduire le train de vie de l'Etat.

 

 

 

 

 

 

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Publié le 14/10/2024 ∙ Média de publication : Site personnel O.Costa

L'auteur

Olivier Costa

Olivier Costa