Ne ratons pas la réforme de l'usage des cabinets de conseil de l'Etat
Si la proposition de loi, examinée ce mercredi à l’Assemblée nationale, doit permettre d’identifier les actions menées par les consultants pour le compte des ministères, elle n’encadre pas les procédures de passation des marchés publics, alerte Mathias Amilhat, l’un des directeurs de l’Observatoire de l’éthique publique.
A partir du 31 janvier, la proposition de loi sénatoriale encadrant l’intervention des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques sera débattue par l’Assemblée nationale. Alors que l’adoption d’un cadre légal est essentielle si l’on veut éviter des dépenses publiques superflues et l’immixtion des intérêts privés dans la définition des politiques de l’Etat, il a fallu attendre plus d’un an pour que ce texte soit inscrit à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale.
Le phénomène est révélé en février 2021 quand une communication de la députée Véronique Louwagie dresse un constat sévère : la crise de Covid-19 a entraîné une augmentation extraordinaire du volume des prestations de conseil commandées et leur utilité n’est pas toujours justifiée. Le Sénat lance alors une commission d’enquête qui conclut à l’existence d’un phénomène qualifié de «tentaculaire» et qui le conduit à adopter la proposition de loi encadrant l’intervention des cabinets de conseil le 19 octobre 2022. A son tour, la Cour des comptes a fait paraître en juillet 2023 un rapport dédié au recours par l’Etat aux prestations intellectuelles des cabinets.
Pourtant, jusqu’ici l’exécutif s’est contenté de régler la question par une circulaire de janvier 2022, signée par le Premier ministre Jean Castex. Or, si ce texte a permis de limiter en volume le recours aux cabinets, il n’a pas réformé le modèle de l’externalisation dont le flux n’est toujours pas maîtrisé ni l’utilité questionnée.
Une loi indispensable pour restaurer la confiance…
La proposition de loi, si elle était adoptée, permettrait de véritables avancées. Tout d’abord, elle renforcerait la transparence en identifiant clairement les actions menées par les consultants. Les documents établis par les cabinets devraient clairement indiquer qu’ils ne sont pas des documents préparés par l’administration elle-même, et sont potentiellement porteurs d’intérêts privés.
Par ailleurs, plusieurs dispositions de la proposition de loi permettraient de renforcer la probité dans le recours aux cabinets de conseil. Pour ce faire, elle prévoit tout d’abord d’interdire les prestations de conseil à titre gracieux. L’on sait bien que de telles pratiques ne peuvent conduire qu’à un mélange des genres discutable qui brouille la frontière entre intérêt général et intérêts privés. Dans la même logique, elle prévoit d’encadrer les «allers‑retours» entre l’administration et les cabinets de conseil avec un contrôle renforcé de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP).
Enfin, la proposition de loi propose d’introduire des évaluations systématiques et la rédaction d’un rapport annuel établi par le gouvernement et soumis au Parlement. L’objectif est d’inciter l’Etat à adopter une démarche réflexive en recensant ses propres compétences : «Pourquoi externaliser quand les compétences existent déjà en son sein ?». Cela revient finalement à payer deux fois.
…mais encore insuffisante
Nécessaire, la proposition de loi demeure imparfaite. Tout d’abord, parce que son champ d’application est limité : elle ne concerne que les administrations publiques centrales ainsi que les établissements publics de santé. Or, le recours «abusif» aux cabinets de conseil n’est pas seulement l’apanage de l’Etat.
De surcroît, la loi ne saurait faire l’économie de dispositions consacrées aux enjeux fiscaux. Peut-on accepter que des prestations de conseil financées par les impôts soient confiées à des prestataires qui ne s’acquittent pas correctement de leurs obligations fiscales ? Des contrôles systématiques mériteraient d’être réalisés.
Enfin, la proposition ne va pas assez loin dans l’encadrement des procédures de passation des marchés publics. Les rapports de la commission d’enquête du Sénat et de la Cour des comptes révèlent que le droit de la commande publique n’est pas suffisamment respecté, et que la technique de l’accord-cadre est utilisée pour contourner les règles. En imposant une évaluation préalable et en interdisant par principe le recours aux accords-cadres en matière de prestations de conseil, la plupart des abus disparaîtraient d’eux-mêmes. Loin d’être insignifiantes, ces questions représentent un véritable enjeu démocratique.
L’examen de la proposition de loi permettra de déterminer si nos députés souhaitent encadrer le «phénomène tentaculaire» décrit et documenté ou s’ils préfèrent réserver un discret enterrement au sujet du recours aux cabinets de conseil. Les amendements proposés sont nombreux, et parfois même travaillés de concert avec les cabinets… Puissent la sagesse législative et l’intérêt général l’emporter en définitive.
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Publié le 31/01/2024 ∙ Média de publication : Libération
L'auteur
Mathias Amilhat
Directeur du département Éthique publique