Régis Juanico, consultant : " La création d'un déontologue du sport pourrait être l'un des héritages des JO de Paris 2024"
L’ancien député PS appelle, dans une tribune au « Monde », à l’institution d’une nouvelle autorité administrative indépendante dévolue à l’éthique dans le sport. Sans quoi « les dysfonctionnements à répétition et les dérives dans la gouvernance de certaines fédérations » sportives perdureront.
Le monde du sport est régulièrement interpellé sur les enjeux majeurs d’éthique et de déontologie. Deux rapports importants, l’un remis par Marie-George Buffet et Stéphane Diagana à la ministre Amélie Oudéa-Castéra, l’autre d’origine parlementaire, ont été publiés en décembre 2023, avec à la clé pas moins d’une centaine de préconisations pour améliorer la gouvernance, la transparence ou la vie démocratique au sein des institutions sportives.
Plus de six mois se sont écoulés et aucune suite sur le plan législatif et réglementaire n’a été donnée, sinon la vague promesse, formulée par la ministre en décembre, compte tenu du nouveau contexte politique issu des élections législatives anticipées, d’un futur débat au Parlement sur une loi « Héritage des Jeux olympiques et paralympiques » comprenant un volet « gouvernance ».
Les nouvelles gouvernances des fédérations olympiques soumises à renouvellement en fin d’année 2024 et en début d’année 2025 le seront donc sur la base des règles d’élection en vigueur depuis la loi du 2 mars 2022 visant à démocratiser le sport (parité progressive, nombre de mandats présidentiels limités à trois, vote des clubs pour 50 % minimum du corps électoral) sans aucun autre progrès démocratique pour les quatre ans à venir.
Sentiment de toute-puissance
La presse a pourtant évoqué à de nombreuses reprises ces dernières années la tourmente que traversent trois symboles du sport français à l’international : les fédérations de football, de rugby et de tennis. Les dysfonctionnements à répétition, les dérives dans la gouvernance de certaines fédérations sont le fruit d’une gestion erratique et défaillante de certains dirigeants installés bien souvent dans la durée dans un sentiment de toute-puissance, sans débats contradictoires ni réels contre-pouvoirs en interne. Outre les gestions passées de Bernard Laporte à la Fédération française de rugby ou de Noël Le Graët à celle du football, la commission d’enquête parlementaire de l’Assemblée nationale a pu mettre en évidence de graves anomalies dans les fédérations de sports de glace, d’escrime, de gymnastique ou de kick-boxing-muay-thaï. Plus récemment la gestion financière de la fédération de lutte et la gouvernance de la fédération de tennis ont fait l’objet de vives critiques.
La loi du 1er mars 2017 prévoit certes l’obligation de l’établissement de chartes et la création de comités d’éthique et de déontologie pour les fédérations. L’article L. 141-3 du code du sport précise également que le Comité national olympique et sportif français (CNOSF), qui dispose de son propre comité d’éthique et de déontologie, « veille au respect de l’éthique et de la déontologie du sport définies dans une charte établie par lui ». Deux problèmes de taille se posent toutefois.
D’une part, selon l’article 16 des statuts du CNOSF, seule la présidence de ce dernier peut saisir son comité d’éthique et de déontologie. D’autre part, sur la composition des comités des fédérations, le choix des membres relève pour l’essentiel de la compétence de leurs instances exécutives (décision du conseil d’administration sur proposition du président), au risque de désignations discutables, sans garanties d’impartialité ou d’indépendance.
La loi du 1er mars 2017 prévoit aussi une obligation déclarative de patrimoine et d’intérêts à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) pour six cents responsables publics du secteur sportif. Mais celle-ci est appliquée « laborieusement », souligne dans son rapport annuel le président de la HATVP, Didier Migaud.
Un échelon suprafédéral
Quelles sont donc les évolutions envisageables ? La création d’une autorité administrative indépendante chargée de la protection de l’éthique du sport est la recommandation principale du rapport de la commission d’enquête parlementaire sur les dysfonctionnements des fédérations et du monde sportif. Le comité coprésidé par Marie-George Buffet et Stéphane Diagana a proposé de son côté de transformer l’actuel comité de déontologie du CNOSF en un comité d’éthique du mouvement sportif français suprafédéral, chargé de superviser l’animation des comités d’éthique fédéraux et de s’y substituer en cas de carence, ainsi qu’une autorité administrative indépendante pour gérer la prévention et le traitement des violences sexuelles dans le milieu sportif.
Les deux rapports s’accordent à dire que le fonctionnement des comités d’éthique au CNOSF et dans les fédérations sportives n’est pas satisfaisant du fait de l’absence de garanties réelles d’indépendance. Sans remettre en cause leurs missions actuelles, on pourrait très bien envisager la création d’un comité d’éthique du sport suprafédéral avec à sa tête un déontologue du sport. Ce pourrait être l’un des héritages des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.
A l’instar de ce qui existe déjà à l’Assemblée nationale depuis le 6 avril 2011 et pour les élus locaux depuis la loi du 21 février 2022, le déontologue du sport aurait un rôle de conseil (prévention des conflits d’intérêts, politiques de dons, avantages, invitations…) pour les dirigeants des organisations sportives, mais rendrait aussi des avis, sur saisine des acteurs du monde sportif, en cas de carence ou défaillance des comités d’éthique fédéraux et du CNOSF.
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Publié le 06/08/2024 ∙ Média de publication : Le Monde
L'auteur
Régis Juanico
Vice-président du conseil d'orientation