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Transformons l’absence de majorité parlementaire en une opportunité démocratique

Si l’absence de majorité parlementaire ne doit pas être vécue comme un drame – la France continuera en effet d’être gouvernée –, elle peut même être vue comme une opportunité pour apprendre à légiférer autrement, estime Matthieu Caron, maître de conférences à Sciences Po Lille et co-fondateur de L’Observatoire de l’éthique public.

Transformons l’absence de majorité parlementaire en une opportunité démocratique

Dans un monde parlementaire adulte, nos partis politiques se montreraient capables de bâtir des compromis pour faire émerger une majorité. Au vu du théâtre des derniers jours – pour ne pas dire du cirque –, il est très probable qu’ils n’y parviennent pas et qu’un gouvernement technique finisse par émerger. Au lieu de vivre cette configuration institutionnelle comme une tragédie politique, nous aurions collectivement intérêt à la transformer en une opportunité de refondation démocratique.

Tout d’abord, l’absence de majorité parlementaire ne doit pas être vécue comme un drame car la France continuera à être gouvernée et car la vie du pays ne se résume pas à son gouvernement. À l’heure où notre classe politique se replie sur elle-même, le pays réel avance. Certes, l’absence de majorité produit de l’incertitude économique, de l’insécurité juridique et du pessimisme mais des milliers de décisions sont prises chaque jour par les ménages, les entreprises, les associations et les administrations. Non seulement, les municipalités, intercommunalités, départements et régions assurent la gestion des affaires publiques locales du pays mais le gouvernement central dispose de tous les moyens pour piloter la politique de la nation.

Gouverner, c’est d’abord administrer

Gouverner, ce n’est pas seulement disposer d’une majorité pour légiférer, c’est d’abord administrer, à savoir : nommer, diriger, réglementer. Bien que privé de majorité, l’exécutif conserve son pouvoir de nomination des plus hauts fonctionnaires en vertu des articles 13 et 21 de notre Constitution. De même, chaque membre du gouvernement demeure à la tête d’un département ministériel qui fabrique des décisions administratives et financières en continu. Au surplus, à défaut de gouverner par la loi, le gouvernement dispose de la possibilité de gouverner par voie réglementaire conformément à l’article 37 de la Constitution.

Très concrètement, il peut à la fois publier des décrets autonomes mais également suspendre certains décrets en vigueur sinon les abroger en vue de neutraliser l’exécution de certaines lois. C’est très précisément ce qu’a fait Gabriel Attal avec la suspension de la réforme chômage dont le décret n’a finalement pas été publié le 1er juillet ou ce que projette de réaliser le Nouveau Front populaire aux dépens des décrets d’application de la réforme des retraites.

 

Laisser émerger des propositions de loi à l’initiative des parlementaires

Ensuite, l’absence de majorité parlementaire constitue une opportunité pour apprendre à légiférer et évaluer autrement. Quatre pratiques mériteraient d’être expérimentées afin de revitaliser la démocratie parlementaire : la construction de majorités de projet ; la restitution de l’initiative législative aux parlementaires, la décélération législative et la priorisation de l’évaluation des politiques publiques. Si la carence de majorité parlementaire entrave la faculté du gouvernement de faire adopter des projets de loi, elle ne l’empêche guère de construire des majorités de projet consensuelles sur tel ou tel sujet répondant profondément aux aspirations de nos concitoyens.

Mais surtout, pourquoi le gouvernement ne rendrait-il pas aux chambres la pleine maîtrise de leur ordre du jour afin de laisser émerger des propositions de lois prises à l’initiative de nos parlementaires ? Ne serait-il pas salutaire de laisser enfin à nos députés et à nos sénateurs le temps de discuter et de trouver ensemble des accords sans que le gouvernement ne cherche à imposer verticalement sa vision des politiques publiques (ordinairement commandée par le caprice de l’heure de l’Élysée) ?

Enfin, faut-il vraiment craindre un ralentissement sinon une pause législative ? C’est une illusion bien française que de croire que nous avons absolument besoin de légiférer. À l’exception du vote obligatoire de la loi de finances, – qui nécessitera un difficile consensus parlementaire –, la France peut très bien n’adopter aucune loi importante dans l’attente d’une prochaine dissolution. Dans l’année qui vient, la représentation nationale disposera d’un temps inédit pour évaluer les politiques publiques des dernières années. Quel rôle pour notre État ? Quels services publics ? Quelles dépenses publiques ? Quel modèle social ? Prenons le temps d’en débattre sereinement en partant des faits.

Gouverner avec le pays plutôt que contre celui-ci

Mieux encore : l’absence de majorité parlementaire devrait obliger nos représentants à gouverner avec le pays plutôt que contre celui-ci. À la lecture des enquêtes d’opinion, quatre sujets principaux cristallisent actuellement les angoisses et mécontentements de nos compatriotes : le pouvoir d’achat, la réforme des retraites, l’injustice fiscale et l’insécurité. En cette année de décroissance législative, de nombreux outils pourraient être mobilisés pour redonner sur ces sujets la parole à la société civile et tout particulièrement à nos partenaires sociaux. Négociations collectives, grenelles, débats nationaux, convention citoyenne, référendum d’initiative partagée voire convocation d’une constituante : les formats ne manquent pas ! Qu’attend-on pour laisser les Français s’exprimer, pour écouter leurs peurs et leur ressentiment sinon pour répondre à leurs attentes ? Sortons des impasses de l’ultra-verticalité et de l’ultra-brutalité. Faisons confiance à l’imagination de la société civile, au dialogue et au contrat pour trouver des solutions de concorde. En un mot : croyons en l’intelligence collective et en l’optimisme de l’action.

Tout ceci étant dit, reconnaissons-le : il n’est pas certain qu’à court terme, l’absence de majorité soit transformée en de telles opportunités. Comme trop souvent dans notre histoire, il y a fort à parier que notre culture politique de la conflictualité et de l’idéologie l’emporte. Mais ne perdons pas espoir ; dans une grande démocratie, il finit toujours par faire beau au-dessus des nuages après que nous avons tous dansé sous l’orage.

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Publié le 22/07/2024 ∙ Média de publication : Challenges

L'auteur

Matthieu Caron

Matthieu Caron

Directeur du département Éthique des affaires