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La procédure d’adoption de la loi Duplomb est loin d’être satisfaisante d’un point de vue démocratique

La loi qui rouvre les vannes des pesticides a été adoptée, le 8 juillet, dans le cadre étroit d’une commission mixte paritaire. La professeure de droit public rappelle, dans une tribune au « Monde », que « la démocratie ne consiste pas simplement à compter des voix, mais à former des opinions par la délibération », ici contournée.

La procédure d’adoption de la loi Duplomb est loin d’être satisfaisante d’un point de vue démocratique
Agriculture

L’adoption, le 8 juillet, de la loi « visant à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », dite loi Duplomb, marque la fin d’une procédure parlementaire chaotique pour un résultat législatif et démocratique pour le moins controversé.

A son origine se trouve la colère des agriculteurs partout dans le pays à partir de la fin d’année 2023. Leurs revendications portent sur leurs conditions de vie économique et sociale et l’une d’entre elles, pourtant minoritaire, devient un symbole du mouvement tout entier : l’excès de normes.

A la même époque, le premier ministre Gabriel Attal fait de cette revendication l’étendard de son discours de politique générale, le 30 janvier 2024 : les normes, qu’il résume aux 44,1 millions d’occurrences du mot sur Légifrance, « oppressent, brident, empêchent de faire et d’avancer ».

Le législateur a d’abord eu le mérite de vouloir intervenir avec célérité et à la hauteur de la détresse du monde agricole avec le dépôt de cette proposition au Sénat, le 1er novembre 2024. Mais, dès l’exposé des motifs de la loi, l’écart se creuse entre la surréglementation dénoncée par le législateur en matière d’usage des produits phytosanitaires et les besoins exprimés par les agriculteurs concernant les contraintes du marché sur leur rémunération.

Rejoindre la dénonciation aveugle de l’excès des normes permet d’éviter d’affronter l’essentiel des revendications des agriculteurs relatives aux garanties légales leur permettant de vivre de leur travail. Et si s’attaquer à l’excès de normes est l’ambition réelle du législateur, il convenait, a minima, de ne pas s’engouffrer dans des schémas réducteurs opposant les normes techniques, faisant appel par exemple à des seuils, et les normes substantielles, exprimant des valeurs.

 

Consensus d’apparence

Plutôt que de se préoccuper de l’excès de normes, le législateur aurait dû se concentrer sur la bifurcation écologique. A cet égard, l’une des difficultés au cœur de la loi Duplomb a été d’articuler deux temporalités : le temps court des pressions économiques du marché et de la rentabilité des activités agricoles avec le temps long de l’écosystème agricole. Cet objectif ne pouvait être atteint qu’en tenant compte des contraintes que le législateur avait lui-même posées. Il en va ainsi du principe de non-régression inscrit à l’article L. 110-1 du code de l’environnement, qui dispose que « la protection de l’environnement (…) ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante ». La lecture des travaux de la Commission mixte paritaire laisse à penser qu’un équilibre n’a pas pu être trouvé dans le texte adopté, qui ne sort pas de l’opposition réductrice entre le monde agricole qui défendrait coûte que coûte le point de vue de l’agro-industrie et les tenants de l’écologie, défenseurs de la santé et de la biodiversité.

Plus globalement, la procédure d’adoption de la loi Duplomb est loin d’être satisfaisante d’un point de vue démocratique. Les rassemblements anti-loi Duplomb devant l’Assemblée nationale le mardi 8 juillet ne doivent à ce titre pas être assimilés à un rejet de la démocratie parlementaire, mais plutôt à la volonté de renforcer l’espace public délibératif. Car, au même titre que pour la loi sur les retraites, la procédure parlementaire Duplomb semble avoir privilégié l’efficacité au détriment de la délibération. Le prétendu consensus fabriqué par la commission mixte paritaire souffre de n’être qu’une apparence, puisque la proposition de loi Duplomb n’a tout simplement pas pu être discutée dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.

 

Débat court-circuité

Suite aux 3 500 amendements déposés en vue de l’examen du texte en séance publique, une majorité de députés ont fait le choix, le 26 mai, de voter une motion de rejet préalable afin d’accélérer la procédure législative. Alors qu’elle était le plus souvent une motion de « réaction » de l’opposition, la motion de rejet préalable n’a pas été envisagée comme telle par les députés favorables au texte. De façon contre-intuitive, la procédure a été utilisée afin de court-circuiter le débat législatif et de permettre l’adoption définitive du texte le 8 juillet. Le rôle principal du Parlement, à savoir sa fonction délibérante, s’en trouve inévitablement affaibli.

Comme le défend Jürgen Habermas dans Espace public et démocratie délibérative : un tournant (Gallimard, 2023), une décision politique, pour être légitime, doit faire place à la discussion et à l’argumentation, afin de permettre — ce qui semble aujourd’hui inimaginable dans notre ère « postvérité » — de se détacher de nos opinions initiales. Dans cette perspective, la démocratie ne consiste pas simplement à compter des voix, mais à former de véritables opinions par la délibération collective.

Là réside sans doute le principal échec de la loi Duplomb. La procédure d’adoption de la loi, ayant permis son passage en force au Parlement, n’a nullement laissé la place à un débat adapté aux enjeux fondamentaux ici concernés. Sur un texte aussi controversé, la recherche d’un consensus ne peut se faire dans le cadre étroit d’une commission composée de sept députés et de sept sénateurs, mais d’un débat ouvert aux opinions divergentes. En définitive, ce texte n’est le fruit d’aucun compromis et signe incontestablement la victoire de l’agro-industrie. La loi Duplomb crée le risque d’un ressentiment durable et constitue l’énième symptôme d’une crise démocratique profonde.

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Publié le 12/07/2025 ∙ Média de publication : Le Monde

L'autrice

Rym Fassi-Fihri

Rym Fassi-Fihri