Lois du 11 octobre 2013 :
Dix ans déjà ! Vingt-quatre propositions pour aller plus loin
La loi du 11 octobre 2013 fête ses 10 ans, sonnant ainsi l’heure des bilans. Plusieurs articles de doctrine ont d’ailleurs commencé un état des lieux en étudiant l’activité de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) ou en évaluant les difficultés d’intégration, dans la sphère politique, d’une véritable culture déontologique encore à parfaire. La présente note aspire moins à effectuer un tel bilan qu’à s’appuyer sur l’existant pour en proposer des améliorations. Or, à l’usage, plusieurs dispositifs ont connu des difficultés d’application ou ont démontré leur insuffisance et leurs limites, elles-mêmes parfois soulignées par la HATVP dans ses rapports annuels. Il n’est donc pas ici question d’état des lieux mais de propositions au travers de pistes d’amélioration.
La loi du 11 octobre 2013 a marqué le point de départ d’un renouveau déontologique en France qui n’avait pas adopté de réformes d’envergure en la matière depuis la fin des années 1980 et les lois relatives au financement des partis politiques, des campagnes électorales et à l’encadrement des procédures de passation des délégations de service public. La loi de 2013 a retenu une autre démarche puisqu’elle vise directement les responsables politiques, et non les institutions dont ils relèvent, à qui de nouvelles obligations s’imposent dans leurs activités. Elle contrôle alors les personnes en s’intéressant directement à leur patrimoine, leurs intérêts, leurs liens familiaux, amicaux, professionnels, etc. C’est donc une nouvelle perspective de contrôle que représente le renouveau déontologique, faisant émerger de nouvelles questions liées au conflit d’intérêts, à la protection de la vie privée, au déport, etc.
La réforme législative s’est appuyée sur les travaux de deux commissions, présidées respectivement par Jean-Marc Sauvé puis Lionel Jospin, dont elle s’inspire et qui ont contribué à étendre progressivement le champ des acteurs concernés. La réforme de 2013 a été en partie répliquée au sein de la fonction publique par la loi du 20 avril 2016, de la magistrature judiciaire par la loi du 8 août 2016 ainsi que dans la sphère privée, sous d’autres formes, avec la loi du 9 décembre 2016 dite Sapin 2. Viendront ensuite d’autres textes qui parachèvent cet acte II de la déontologie (après l’acte I de la fin des années 80) avec plus ou moins de succès. Tel est le cas de la loi dite confiance du 15 septembre 2017 qui interdit certains emplois familiaux, transforme l’IRFM en AFM ou encore supprime la réserve parlementaire. Tel est encore le cas de la loi transformation de la fonction publique du 6 août 2019 qui a supprimé la commission de déontologie de la fonction publique et transféré ses compétences, pour ce qui concerne seulement les ministres, conseillers ministériels et certains hauts fonctionnaires, à la HATVP et réformé le régime de la reconversion professionnelle des acteurs publics.
Certains de ces textes ont enrichi la loi du 11 octobre 2013 de nouveaux régimes juridiques non prévus à l’origine (sur la représentation d’intérêts par exemple) ou ont simplifié des dispositifs préexistants (sur la définition de la prise illégale d’intérêts notamment). C’est ainsi le cas du régime de la représentation d’intérêts ou du contrôle par la HATVP de la reconversion professionnelle de certains responsables. On s’intéressera ainsi à plusieurs de ces régimes pour en améliorer la cohérence et l’application. Il sera quasi exclusivement question de la déontologie politique, et non de celle des agents publics ou acteurs privés.
La pierre angulaire du renouveau déontologique réside dans la notion de conflit d’intérêts qui est, pour la première fois, définie comme catégorie juridique, de surcroît à l’échelon législatif. La plupart des autres dispositifs du texte constituent alors des contrôles préventifs du conflit d’intérêt ou bien les conséquences résultant d’une telle situation. Alors que la lutte contre la corruption au sens large reposait encore largement sur une logique préventive, la loi de 2013 refond le régime de déclaration pour imposer une logique préventive plus cohérente et efficace. Les hauts responsables publics sont soumis à une déclaration de situation patrimoniale et une déclaration d’intérêts déposées auprès de la HATVP qui en contrôle l’exactitude, l’exhaustivité et la sincérité.
La déclaration de patrimoine est une réponse à l’affaire Cahuzac et qui permet de contrôler la légalité du patrimoine, l’absence d’évasion fiscale ou encore d’enrichissement par des fonds publics au cours de son activité puisque la déclaration est déposée à l’entrée et à la sortie des fonctions. C’est d’ailleurs pour cette déclaration, qui est selon nous la moins importante, que la HATVP dispose des moyens les plus étendus pour en contrôler l’exactitude, l’exhaustivité et la sincérité. Les premières « affaires » qui se sont soldées par une transmission du dossier au Parquet, sur le fondement de l’article 40 du code de procédure pénale, ont d’ailleurs concerné les déclarations de patrimoine.
La déclaration d’intérêts est davantage axée sur la prévention du conflit d’intérêts. Or, les différentes « affaires » ayant concerné – à propos de ce document – certains responsables publics n’ont jamais été découvertes à l’issue du contrôle de la HATVP mais à la suite de révélations par divers médias. Ce constat souligne combien les moyens de la HATVP sont limités pour contrôler le contenu de la déclaration, celle-ci se contentant de ce qui est déclaré par le responsable public pour apprécier le risque de conflit d’intérêts, sans pouvoir s’assurer véritablement, sauf erreur grossière, de l’exhaustivité de la déclaration.
La transparence est envisagée par la loi de 2013 comme un moyen de compenser ce déficit de contrôle puisque les déclarations d’intérêts des membres du Gouvernement, des élus nationaux et de ceux locaux visés par la loi, sont publiés en ligne sur le site de la HATVP. Toutefois, cette transparence connaît des limites. D’une part, les déclarations d’intérêts des autres acteurs publics ne sont pas publiées en raison du risque d’atteinte à leur vie privée, alors que les enjeux sont aussi colossaux du point de vue déontologique. Il en découle un contrôle forcément réduit pour les collaborateurs ministériels et les hauts fonctionnaires. D’autre part, le contrôle de la société civile est forcément insatisfaisant puisque les médias, associations de lutte contre la corruption et citoyens ont un accès limité à l’information. Par ailleurs, le fait qu’ils soient à l’origine de révélations, parfois retentissantes, ne permet pas de renouer avec la confiance de l’opinion publique puisqu’elle marque, dans une certaine mesure, l’incapacité des pouvoirs publics à se contrôler mutuellement. Enfin, seules les déclarations de situation patrimoniale des ministres font l’objet d’une publication, celles des parlementaires étant accessibles en préfecture mais non divulgables sous peine de sanction pénale, tandis que celles des élus locaux restent secrètes.
Le conflit d’intérêts n’est pas un délit pénal mais une notion ayant pour but d’en prévenir la potentielle commission. En conséquence, la réponse à une situation de conflit d’intérêts réside dans le déport du responsable public concerné. Or, des régimes de déport différents sont prévus selon la catégorie d’acteurs publics concernée.
Des décrets du Premier ministre sont pris pour retirer aux membres du Gouvernement les compétences qui les placeraient en situation de conflit d’intérêts. D’une manière générale, les déports pourraient être davantage anticipés qu’ils ne le sont aujourd’hui pour les ministres et secrétaires d’État puisqu’ils interviennent souvent après plusieurs mois d’exercice. Un régime spécifique existe pour les parlementaires, et le moins que l’on puisse dire est que son application reste mitigée : on compte une trentaine de déports à l’Assemblée et cinq déports au Sénat depuis 2017. Pour les élus locaux, la procédure est organisée par le décret n° 2014-90 du 31 janvier 2014 qui distingue plusieurs cas selon qu’il s’agisse des membres de l’exécutif, d’élus disposant d’une délégation ou de simples conseillers. Les registres locaux des déports n’étant pas rendus publics, il est difficile d’en établir un état des lieux sérieux. Toutefois, le risque de prise illégale d’intérêts conduit les élus locaux des grandes collectivités à être attentifs à leurs obligations. Ceux des plus petites collectivités restent moins informés et moins entourés par un personnel alerte pouvant les prévenir des risques.
Le risque de conflit d’intérêts justifie également le contrôle de la reconversion professionnelle par la HATVP. Depuis la loi précitée de transformation de la fonction publique de 2019, la Haute Autorité a récupéré le contrôle du pantouflage des plus hauts responsables publics. Elle s’assure de la compatibilité de l’activité envisagée avec les fonctions publiques exercées au cours des trois dernières années et, à ce titre, examine à la fois le risque pénal et le risque déontologique. Concernant le premier, la HATVP s’assure que la reconversion ne place pas l’intéressé en situation de prise illégale d’intérêts (art. 432-13 du code pénal). Deux aspects sont envisagés concernant le second, la Haute Autorité s’assure, d’une part, que la reconversion n’est pas de nature faire naître un doute sur le respect, par l’intéressé, des principes déontologiques qui s’imposaient à lui dans l’exercice de ses fonctions et, d’autre part, qu’elle n’est pas de nature à compromettre ou mettre en cause le fonctionnement normal, l’indépendance ou la neutralité de l’administration.
La prévention des conflits d’intérêts n’est pas utile en ou pour elle-même mais dans la perspective de produire des politiques publiques et des règles de droit qui réalisent l’intérêt général. En d’autres termes, il faut faire prendre conscience aux responsables publics des biais qui déterminent leur prise de position et leur conduite : ce qu’ils sont amenés à décider d’une manière quasi mécanique doit se trouver questionné, voire remis en cause, à partir des raisons qui les fondent. L’exercice du pouvoir politique ou administratif n’est pas acceptable lorsqu’il s’exerce d’une manière intéressée et subjective. Si l’on demande à nos élus et gouvernants d’être effectivement partiaux, c’est-à-dire de prendre des positions idéologiques en faveur de tel ou tel intérêt particulier, leur prise de position ne peut toutefois pas se faire porte-parole de tierces personnes et leurs opinions ne peuvent être dictées par la volonté de défendre des intérêts extérieurs avec lesquels ils entretiennent des liens personnels ou particuliers. En d’autres termes, la déontologie doit éviter que les responsables publics se trouvent dans des situations de dépendance qui, malgré leur propre volonté, pourraient les conduire à perdre leur liberté de parole et leur lucidité. Quant aux fonctionnaires et agents publics, ceux-ci sont en revanche soumis à un strict principe d’impartialité et d’indépendance qui implique de mettre de côté toute considération politique, économique ou personnelle dans l’exercice de leurs fonctions.
Ainsi, pour nous, le conflit d’intérêts apparaît dans toutes les situations où, en apparence, le responsable public donne l’impression de préjuger de l’affaire qu’il est amené à traiter en raison des différents liens qui l’unissent aux sujets ou aux acteurs concernés. Si l’on a tous un a priori sur la plupart des sujets, on reste la plupart du temps ouvert à la discussion, sauf lorsque l’on a des intérêts qui interfèrent dans l’avis que l’on se forge. Quand cet a priori bloque la possibilité même de changer d’opinion ou d’être ouvert au débat contradictoire, alors il s’agit d’un préjugement qui peut être fondé sur des liens d’intérêts préalables, entraînant la nécessité de se déporter ou, a minima, de déclarer les interférences publiquement avant d’agir.
Si le contrôle déontologique des élus et gouvernants est déjà conséquent, l’usage a toutefois démontré la nécessité de revenir sur quelques dispositifs de la loi de 2013 pour en améliorer l’efficacité. Des conflits d’intérêts résultant par exemple des intérêts détenus par les ascendants et/ou descendants d’une ministre, ou bien concernant les frères et sœurs d’un autre, n’ont pas été identifiés rapidement par la HATVP. Ainsi convient-il de renforcer le régime des déclarations déontologiques mais aussi les pouvoirs des autorités déontologiques afin d’en faire des instruments particulièrement efficaces.
Retrouvez les 24 propositions faites par Jean-François kerléo dans la note #34
Fichiers
Publié le 11/10/2023
L'auteur
Jean-François Kerléo
Vice-président