Les solutions à l'ineffectivité du droit d'accès aux documents administratifs
Fichiers
Au printemps prochain, se tiendra, au Sénat, une journée d’étude portant sur les remèdes à l’ineffectivité du droit d’accès aux documents administratifs. Organisée par l’Observatoire de l’Ethique Publique, ce temps de travail réunira l’ensemble des acteurs de l’application de ce droit en France. Partant d’un accablant constat selon lequel le droit d’accès, théoriquement mis en place et protégé, est en pratique fortement entravé, les invités discuteront des potentielles solutions à promouvoir. L’OEP, laboratoire d’idées mettant en avant la recherche à impact, cherchera à rassembler un nombre de propositions concrètes et consensuelles, afin de les amener sereinement au sein du débat public et au cœur de l’agenda politique.
A) L’ineffectivité du droit d’accès, un constat clair et unanime
La transparence de l’action publique est un des fondements d’une démocratie saine, elle se matérialise légalement par un « droit d’accès aux documents administratifs ». Ce droit, de valeur constitutionnelle, émane directement de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, qui prévoit en son article 15 que « la société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration ».
Mouvement d’intérêt public continuel, le désir de transparence de la vie publique prend sa source dans les années 1970, puis s’est concrétisé de manière pratique durant les 15 dernières années. Le contrôle de l’action publique par les citoyens s’est donc amélioré, permettant de rompre avec la traditionnelle culture du secret de l’administration : mise en place de politiques publiques de transparence, de mécanismes juridiques, de sensibilisations et d’accompagnements des usagers et des administrations, etc. Autant d’outils instaurés, pour des résultats contrastés.
Pourtant reconnu de valeur constitutionnelle, le droit d’accès aux documents administratifs n’est pas appliqué de manière totalement effective, comme l’illustre la 108ème place de la France sur 140 pays dans une étude classant les pays selon leur application du droit d’accès aux informations publiée par Global Right to Information Rating. Des entraves existent et neutralisent la mise en place concrète et efficiente du droit d’accès aux documents administratifs. Parmi les principaux obstacles, notons notamment : les refus de principe de certaines administrations, des interprétations larges des normes et exceptions régissant le droit d’accès, la faible autorité de la CADA créée et pensée pour la société des années 1970, les longs délais lors des recours devant la justice administrative ou encore un droit d’accès aux documents détenus par les administrations et non aux informations existantes. Autre exemple d’actualité, l’affaire des notes de frais de la ville de Paris, où la demande de documents avait obtenu une décision favorable du Conseil d’Etat en 2023: la durée totale de la procédure a donc été de 5 ans pour obtenir les documents demandés.
Afin de pallier ces difficultés et de renforcer l’application du droit d’accès aux documents, diverses propositions s’amoncellent de la part d’universitaires, juristes, journalistes et membres de la société civile, mettant en exergue des points d’accords, mais aussi des divergences sur les solutions à promouvoir.
B) Une pluralité de solutions à étudier et à débattre
La CADA et ses mains liées, un parent pauvre des AAI
Un premier axe de réflexion s’articule autour de la place et du rôle de la CADA. Institution centrale dans l’application du droit d’accès, elle est confrontée depuis plusieurs années à une explosion du nombre de saisines. Faut-il passer par une augmentation de son budget, de ses moyens matériels et humains ? L’absence d’un pouvoir contraignant limite-t-elle son utilité ? Faut-il envisager de lui conférer un pouvoir de décision, ou même de sanction ? Sans être un pouvoir de sanction ou d’injonction, un pouvoir de décision permettrait de rendre non plus des « avis » mais des « décisions » contestables directement devant le juge administratif si non-appliquées. Un pouvoir de sanction quant à lui fragiliserait-il la position de la CADA en tant qu’intermédiaire ou institution de dialogue, de conseil auprès des administrations ?
Le référé-communication, une nouvelle procédure juridictionnelle nécessaire ?
Autre point d’achoppement, la création d’un référé-communication, afin de faire valoir un droit constitutionnellement garanti : celui de demander à l’administration de rendre des comptes. L’argument principal des longs délais, puis celui du pouvoir de contrainte des administrations seraient une base de réflexion pour soutenir cette proposition. Cependant, certaines conditions relatives à la justification des procédures de référé telles que l’urgence ou l’atteinte grave aux libertés pourraient être compliquées à argumenter. Enfin, instaurer une procédure d’urgence permettrait sans doute des résultats efficaces, mais cela atteindrait-il l’objectif d’exercer le droit d’accès de manière apaisée avec les administrations ?
Une possible mise en balance du droit d’accès face aux secrets et exceptions ?
Partant de décisions respectivement de la CEDH puis du Conseil d’Etat, l’idée d’un contrôle de proportionnalité face aux exceptions à la communication permettrait de réduire les refus de principe des administrations et leurs interprétations potentiellement abusives des secrets protégeant les documents des administrations. Les différents secrets évoqués par le CRPA bénéficieraient d’un travail de recherche apportant des définitions approfondies, notamment via l’étude des jurisprudences de la CADA et des juges administratifs.
Du droit d’accès aux documents vers la consécration d’un véritable droit à l’information ?
Aujourd’hui, sont communicables les documents administratifs. De manière synthétique, est considéré comme un document administratif tout document produit ou reçu par une administration ou toute personne missionnée par elle. Ainsi, les administrations peuvent uniquement transmettre des documents déjà possédés, établis, créés. Une distinction fondamentale existe entre « document administratif » et « information », ce qui restreint l’expansion de la transparence de la vie publique. Plusieurs arguments permettraient de justifier l’avancée vers un véritable droit à l’information.
D’un point de vue sémantique, le CRPA dans son article L300-1 évoque « Le droit de toute personne à l'information […] ». De plus, si le droit d’accès se concentre sur les documents, il porte en réalité sur les informations contenues au sein d’un document, d’un support, voire même d’un « contenant » ? L’objectif de la communication reste l’information, le « contenu ».
Également, une certaine dichotomie est à noter entre l’article 15 de la DDHC qui établit que la société a le droit de « demander compte » et le droit d’accès applicables « aux documents administratifs ». Demander compte ne se traduirait-il uniquement par demander un document ? Enfin, depuis l’entrée en vigueur du RGPD, il existe un lien renforcé entre le droit des données et la communication de documents administratifs.
La définition même de document administratif semble ainsi très fragile, allant même jusqu’à se confondre avec la notion « d’information », ou de « données ». Plusieurs pistes de réflexion placeraient même les « données » en tant que matériau commun à la CNIL et la CADA, au cœur du droit d’accès à l’information. La CADA ne serait-elle qu’une extension de la CNIL ? Devrait-on réfléchir à fusionner ces AAI ? Les objectifs contradictoires de la CNIL, qui vise à protéger les informations privées et la CADA, qui participe à la transparence de la vie publique, pourraient-ils être mélangés au sein d’un même entité ?
Ces pistes de réflexion, aussi sérieuses que nombreuses, méritent un débat sain et constructif. L’objectif de cette journée d’études est l’émergence de points d’accords et de propositions communes ayant pour but une amélioration normative réelle et pratique de l’effectivité du droit d’accès aux documents.
Fichiers
Publié le 16/12/2025
L'auteur
Edouard Cortot
L'auteur
Raphaël Maurel
Directeur des études et du plaidoyer
L'auteur
Pierre Januel - Journaliste